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delbœuf. — le sommeil et les rêves

(Verhältniss der Materie) les indications venues de l’extérieur autres que les qualités sensibles. Nous percevons de l’extérieur qualité et relation, et elles sont indissolublement liées dans chaque représentation de la matière. Nous ne pouvons nous figurer une masse sans couleur, ni un mouvement sans un mobile sensible. C’est conformément aux relations que les expériences s’ordonnent dans mon cerveau, et c’est conformément à cet ordre que je mets les idées de l’extérieur en rapport les unes avec les autres et que je juge de l’extérieur. Je suis donc en droit d’affirmer que mes jugements sur les relations des choses sont les images réelles de ces relations.

Cela étant, en quel cas peut-on soutenir qu’un jugement est faux, et que l’esprit qui le porte est dérangé ? Où est le critérium de l’aberration ? Locke ne connaît que des jugements d’expérience. Kant a distingué les jugements à priori et les jugements à posteriori. Les uns, je ne puis les penser autrement et je les conçois comme nécessaires ; je n’énonce les autres que sur la foi de raisons puisées dans l’expérience. L’erreur ne peut concerner que ceux-ci. L’homme sain raisonne les motifs de son affirmation, le fou l’exprime comme un jugement à priori : c’est ainsi parce que c’est ainsi. D’où savez-vous, demandait-on à un aliéné, que votre hôte a l’intention de vous empoisonner ? — Je n’en sais rien, mais c’est ainsi : telle était sa réponse. Ces erreurs de jugement n’ont donc leur source dans aucune illusion quelconque des sens, et les motifs en sont tout intérieurs. On peut en conséquence formuler la définition suivante : Tout jugement à posteriori touchant le monde externe, qui est tenu pour vrai à la façon d’un jugement à priori, doit être considéré comme une aberration. Les mots « à la façon d’un jugement à priori » signifient « sans tenir compte des éléments du dehors et même en se mettant en contradiction avec eux ». Quant aux jugements à posteriori portant sur les choses de l’expérience interne, — je suis malade, je suis heureux, je suis savant, — le critérium nous échappe, à moins qu’ils ne soient accompagnés de jugements extravagants concernant l’extérieur — par exemple : on m’a empoisonné, je suis riche, on m’admire.

De quelle manière les idées déraisonnables prennent-elles naissance ? Une condition essentielle c’est que ces idées soient dominantes ou fixes. Cependant toutes les idées fixes ne sont pas nécessairement maladives : telles sont, par exemple, celles qu’inspire une perte de fortune, la considération d’un danger éloigné. Ce qui fait la différence entre celles-ci et celles-là, c’est le fait de savoir si elles découlent oui ou non d’une cause réelle, et si la confrontation contradictoire avec la réalité parvient oui ou non à les détruire. Quand