Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VIII.djvu/360

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
354
revue philosophique

« 1o Généralement je rêve que je vois ; quelquefois aussi je rêve que je n’y vois pas ; d’autres fois je rêve que mes yeux se guérissent et que je recommence à voir.. Quand je rêve que je n’y vois pas, je marche ordinairement dans une rue que je connais ; mais, après quelque temps, je ne me retrouve plus, et alors ordinairement quelqu’un vient me prendre par le bras, quelqu’un que je connais ou que je ne connais pas, et me conduit.

» 2o Quand je rêve que je vois, c’est souvent de paysages de montagnes ; je ne rêve qu’excessivement rarement d’expériences ou d’instruments ; les objets que je vois ont leur couleur naturelle.

» 3o À l’état de veille, je vois presque toujours en imagination le lieu où je me trouve et les personnes présentes.

» 4o Quand je vois, en rêve, soit des personnes inconnues, soit mes enfants, je ne vois que très vaguement leurs physionomies. »

À cet égard M. Plateau fait comme tout le monde. Est-on en correspondance avec des étrangers qu’on ne connaît que par leurs lettres ou leurs ouvrages, on leur attribue, la plupart du temps sans raison, un physique déterminé, et, si l’on en rêve, ils ont nécessairement un corps et un visage. La privation d’organes périphériques intacts n’entrave donc pas l’exercice de l’imagination.

Ces deux faits — qui ne sont sans doute pas isolés, vu que je les ai non choisis, mais rencontrés — prouvent que le sens du mot périphérie aurait besoin d’être précisé, fl faudrait ne pas s’arrêter à la signification littérale, et concevoir la périphérie comme moins superficielle et plus profonde.

Le second point, le voici. Les jugements des fous, entant que fous, ont, dit M. Stricker, la forme de jugements à priori. C’est là une définition piquante qui a certainement des côtés justes. Mais ne peut-on rien y reprendre ? Nos antipathies et nos sympathies, par exemple, ne sont pas non plus raisonnées. Célimène,

De qui l’humeur coquette et l’esprit médisant
Semblent si fort donner dans les mœurs d’à présent,

s’est emparée du cœur d’Alceste, à qui pourtant l’amour ne ferme pas les yeux aux défauts de la jeune veuve. Il est

Le premier à les voir, comme à les condamner,

mais il la trouve quand même adorable.

Dans les Femmes savantes, la raisonnable Henriette dit à Trissotin, avec une ironie marquée :

Un cœur, vous le savez, à deux ne saurait être ;
Et je sens que du mien Clitandre s’est fait maître.
Je sais qu’il a bien moins de mérite que vous.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .