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boussinesq.sur le rôle de l’intuition géométrique

qu’elles présentent dans toutes les têtes humaines, ainsi que leur conformité constante, sans limite assignable, à tous les résultats d’expériences précises, n’en feraient pas moins la plus solide base des sciences et même, dans l’ordre logique, la meilleure pierre de touche des doctrines. Le sens géométrique ne serait donc pas, même alors, une chose mal définie, de telle manière qu’on dût s’en défier et qu’il fût possible d’espérer mieux. Loin de là, il resterait ce qu’il n’a jamais cessé d’être, savoir, la chose la mieux définie, celle qui prête le moins aux malentendus et aux désaccords. Nous sommes tous convaincus dans la pratique que nos conceptions abstraites des grandeurs et des figures peuvent exprimer les faits naturels avec une exactitude très supérieure à celle que comportent les meilleures observations ; et l’expérience vient, à tout instant, apporter à cette manière de voir une confirmation éclatante, d’autant plus admirable que l’origine ou du moins l’élaboration de nos idées géométriques est, pour la plus notable part, rationnelle et non empirique. Comment s’étonner, après cela, que le pouvoir dont nous jouissons de nous représenter l’étendue figurée, et d’en exprimer en nombre chaque partie, nous paraisse invinciblement la plus parfaite de nos facultés intellectuelles ? Aussi est-ce celle que nous accuserions la dernière, celle que nous jugerions avoir le moins besoin de progresser pour se mettre, d’une manière adéquate, à l’unisson ou à la forme des objets extérieurs.

Ce qui prouve qu’elle est très voisine de la perfection et qu’il ne lui est plus possible, en quelque sorte, d’en approcher, c’est qu’elle n’a pas varié d’une manière appréciable depuis les premières origines des sciences, depuis Thalès de Milet, en dépit du besoin de changement qui n’a cessé d’agiter les esprits, et malgré les efforts séculaires dépensés dans l’intervalle pour élever l’édifice immense de nos mathématiques, efforts qui n’auraient pas manqué d’accroître par l’exercice la justesse de la faculté qui les déployait, pour peu que cette justesse eût laissé à désirer d’une manière appréciable. Donc elle avait déjà comme atteint sa limite extrême dès le début du développement historique des sciences, à supposer quelle ait eu jamais besoin de progresser et que sa perfection en quelque sorte absolue ne fasse pas essentiellement partie de notre nature intellectuelle. Et c’est ce qui explique pourquoi la faculté dont il s’agit a pu se montrer, en garantie de sa véracité, absolument pareille chez tous les hommes connus, à quelque époque et à quelque société qu’ils appartinssent, dictant les mêmes réponses à tous ceux qui l’ont consultée attentivement sur telle ou telle question : genre de contrôle qu’elle peut seule, à ce qu’il semble, supporter victorieu-