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en soient complètement indépendantes, alors qu’il ne sait pas au juste ce qu’il y a mis ? Pour être exact, il devrait donc se borner à regarder ces propositions comme n’ayant aucun rapport explicite avec les vérités dont il s’agit, c’est-à-dire concernant les parallèles.


Mais la géométrie ne serait pas la seule science atteinte par la suppression de l’intuition géométrique. Le cerveau pensant tout entier semble, à quelques égards, n’être qu’une extension du système visuel, qui est par excellence l’organe de la représentation et des figures. C’est par des formes, des constructions idéales, que nous condensons et précisons toutes nos idées, que nous parvenons à les fixer, à les voir nettement ; et on dirait que c’est précisément dans la mesure où leur assimilation à des images réussit que nous pouvons en faire l’objet de connaissances positives.

Par exemple, l’idée du temps ne se présente pas à nous sans celle du mouvement, c’est-à-dire d’un chemin qu’un point décrirait, quoique nous sentions qu’elle en est distincte. De même, nous ne pensons pas nettement à des nombres sans qu’à l’instant divers points ou objets disséminés, dont chacun nous représente une unité ou un groupe, viennent se placer sous l’œil de l’esprit.

De même encore, nous ne raisonnons jamais clairement, ce me semble, sur la quantité algébrique continue, sans voir à l’instant une étendue qui nous la représente, notamment la plus simple des étendues, c’est-à-dire l’étendue à une dimension, la ligne droite. Celle-ci, supposée commencer à l’infini et prolongée d’abord jusqu’à une origine choisie arbitrairement, peut être, en partant ensuite de cette origine, augmentée ou diminuée de longueurs quelconques. Ces longueurs sont justement pour nous les images naturelles de toutes les quantités, positives ou négatives ; et elles viennent se placer bout à bout, suivant les sens indiqués par leurs signes, croître ou décroître dans certains rapports, toutes les fois que nous transformons, par exemple, une équation et que, craignant une erreur ou nous défiant du mécanisme algébrique, nous tenons notre attention en éveil. Si l’analyse pure, la théorie de la quantité (réelle) en général, est plus simple, plus uniforme dans ses procédés, que la géométrie ordinaire, cela est dû précisément à ce que cette quantité est exprimable par une ligne, et par suite à ce qu’elle n’a qu’une dimension ou ne varie que dans un sens et le sens opposé, à la place des trois dimensions de l’étendue et de la multiplicité infinie de rapports qu’elles amènent.

Il semble que, si l’on nous ôtait le sens de l’espace et des figures, nous n’entendrions plus même la branche de l’analyse qui paraît, en