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entrer dans la conscience, pour devenir un objet de connaissance il doit subir une transformation ; en d’autres termes et pour parler le langage physiologique, il doit, dans l’hypothèse de Carl Sachs, être envoyé par des nerfs sensitifs au sensorium. Mais, en cela, il ne diffère essentiellement d’aucun autre ordre de sensations, toutes n’étant en définitive que le résultat d’une transformation de mouvements.

L’importance psychologique du sens musculaire, et par conséquent des mouvements, ressort également des cas morbides. Certains malades, privés de ce sens, dès qu’ils cessent de voir leurs membres, n’ont plus conscience de leur position ni même de leur existence ; ils ignorent s’ils sont en état d’extension ou de flexion ; ils les croient dénués de pesanteur[1]. Cet affaiblissement de la sensibilité musculaire n’est pas très rare chez les mélancoliques et les hypochondriaques. Dans d’autres cas aussi instructifs, c’est le contraire qui se produit : le sens musculaire conserve son intégrité au milieu de l’anesthésie générale. « Ainsi, les hystériques ne perdent que rarement le sens musculaire, et, alors que toutes les autres sensibilités tactiles ou affectives sont abolies, elles ont conservé la faculté de coudre, de tricoter, d’écrire, mouvements qui exigent des sensations très parfaites et très complexes[2]. »

Nous avons insisté sur le sens musculaire, parce qu’il nous plaçait au centre même de notre sujet. Nulle part, le rôle psychologique des mouvements n’est plus important, ni plus facile à montrer. En traitant des perceptions, c’est de lui que nous allons encore nous occuper.

Il n’y a rien à dire du goût ni de l’odorat. Quant à l’ouïe, la seule détermination dans l’espace que nous lui devions, c’est la direction (la distance des objets sonores nous est révélée par d’autres sens). Cette connaissance est due à l’action combinée des deux oreilles, qui donnent des perceptions inégales, suivant que le son se produit à

  1. « J’ai vu, dit Briquet (Traité de l’hystérie), une jeune fille dont toute la peau et tous les muscles étaient anesthésiés… Obligée de rester au lit toute la journée à cause de la faiblesse de la contractilité des muscles, elle ne pouvait se servir de ses mains qu’à l’aide de la vue, qui était en quelque sorte le seul sens qui gouvernait tout. L’insensibilité de ses membres était si profonde qu’en lui bandant les yeux on pouvait l’enlever de son lit, sans qu’elle eût la moindre idée de ce qui s’était passé. Elle comparait la sensation qu’elle éprouvait ordinairement à ce que devrait éprouver une personne suspendue en l’air par un ballon. » Le sentiment de « ravissement » dont parlent beaucoup d’extatiques est attribué par certains auteurs à une paralysie du sens musculaire.
  2. Richet, Recherches cliniques et expérimentales sur la sensibilité, p. 225.