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ANALYSESguyau. — La Morale anglaise contemporaine.

monie naturelle des intérêts : Cherche ton bonheur dans celui d’autrui. Cherche le bonheur de tous dans le bonheur de chacun.

L’auteur ne s’arrête pas longtemps dans l’exposition des doctrines d’Owen, de Mackintosh et de James Mill : il est, en quelque sorte, impatient d’arriver au représentant le plus illustre de l’utilitarisme contemporain, Stuart Mill. Ici encore se retrouvent ces mêmes qualités d’appropriation et de coordination des idées. Bien que Stuart Mill ait réuni dans un seul volume, L’Utilitarisme, ses vues sur la morale et la politique, elles n’y forment point un système unique et cohérent, comme dans le livre de M. Guyau.

L’originalité de Stuart Mill consiste, selon son habile interprète, à avoir substitué l’unité subjective des intérêts à leur unité objective. — Les intérêts des individus ne sont pas actuellement inséparables sous tous les rapports et en toutes circonstances, mais ils sont assez fréquemment et assez étroitement unis pour que l’idée de l’intérêt d’autrui s’associe à l’idée de mon intérêt propre et bénéficie de l’attrait que cette dernière idée exerce sur moi. — C’est que Stuart Mill, nous l’avons dit, avant d’être, comme Bentham, un moraliste, est un psychologue soucieux de tenir compte et de rendre raison des sentiments, naturels sinon innés, de l’âme humaine. Or le principe de l’association ne permet-il pas de transmettre indéfiniment aux idées les plus composées et les plus lointaines les propriétés qui n’appartenaient tout d’abord qu’à certaines idées simples et immédiates ? De même que la richesse, qui n’est d’abord désirée que comme une condition du bonheur, finit par devenir un élément du bonheur et par être désirée comme telle, la vertu, grâce à l’association des idées et de l’habitude, devient elle-même l’objet d’une recherche directe et désintéressée.

Le principe suprême de la morale de Stuart Mill est donc le bonheur ; mais c’est le bonheur général considéré comme inséparable, dans notre sensibilité et notre intelligence, sinon dans la réalité même, du bonheur de l’individu.

Mais ce bonheur, comment faut-il le concevoir ? et est-il vraiment pour la volonté une fin obligatoire ?

On sait quelle modification Stuart Mill a introduite sur le premier point dans la doctrine de Bentham. Il distingue dans le bonheur et dans les plaisirs qui le composent la qualité de la quantité et l’espèce, de l’intensité. Mieux vaut, dit-il, être un Socrate mécontent qu’un imbécile satisfait, et il cherche l’explication de cette préférence dans un certain sens de dignité propre à l’homme. Quant au moyen pratique do mesurer le rapport des différents plaisirs avec notre sens de dignité, Stuart Mill ne peut que nous renvoyer à l’avis de ceux qui auront pu goûter les uns et les autres et en faire la comparaison, et s’il y a dissidence, dit-il, le jugement de la majorité doit être regardé comme définitif.

Quant à l’obligation, Stuart Mill ne semble y voir qu’un résultat de la sanction. Se sentir obligé à une certaine conduite, c’est prévoir et