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liard. — théorie de la science et de l’induction

les sciences de la nature. Passe encore pour les idées de cause et de substance. Mais est-ce une vérité à priori « que la pression des fluides s’exerce également dans toutes les directions » ? Est-ce une conséquence de la définition du fluide, « conçu comme une matière capable de recevoir et de transmettre la force, et dont les parties se meuvent aisément les unes sur les autres ? » De même, savons-nous, avant l’expérience, « que les corps se meuvent naturellement en ligne droite et avec une vitesse uniforme ? » Ces questions se posent avec plus d’insistance encore lorsque, des sciences mécaniques, nous passons aux sciences physiques proprement dites. Whewell distingue dans les corps deux sortes de qualités, les qualités premières et les qualités secondes, les unes perçues immédiatement, les autres, telles que le son, la lumière, la chaleur, senties à l’aide d’un intermédiaire. La distinction n’est pas nouvelle ; mais ce qui est nouveau, c’est de voir, dans la notion de l’intermédiaire mécanique qui sert pour ainsi dire de véhicule aux qualités secondes, une conception à priori[1]. En chimie, l’idée d’affinité est mise au rang des possessions naturelles et primitives de l’esprit ; elle s’établit, il est vrai, par l’expérience ; mais, « aussitôt conçue, elle possède une évidence supérieure à la pure expérience, car comment pourrions-nous, en fait, concevoir des combinaisons qui ne seraient pas définies en espèce et en quantité. Si l’on pouvait supposer que chaque élément pût se combiner indifféremment avec tout autre, et indifféremment en quantité, nous aurions un monde dans lequel tout serait confus et indéfini. » Peut-être ; mais il faudrait prouver au préalable, à la façon de Kant, que la pensée exige, pour s’exercer, un monde clair et défini. À suivre tous ces développements symétriques sur les idées fondamentales, on dirait une gageure, tenue jusqu’au bout sans espoir de succès. L’idée de vie elle-même, encore aujourd’hui si obscure et si mal définie après les récents progrès de la biologie, est mise par Whewell au nombre des idées à priori.

Il n’est pas besoin d’autres exemples et de plus d’insistance pour faire voir avec’quel arbitraire et quelle faiblesse d’analyse est traitée cette importante partie de l’œuvre de Whewell. Même en lui concédant que toutes les idées qu’il relève sont réellement engagées dans les sciences, peut-on soutenir qu’elles y sont toutes à litre de fondements, et qu’elles viennent également de l’esprit et non de l’expérience’? Sous le nom d’idées fondamentales, Whewell fait tenir à la

  1. « Nous supposons nécessairement un intermédiaire pour les perceptions de lumière, de couleur, de son, de chaleur, d’odeur, de toucher, et cet intermédiaire doit transporter les impressions au moyen de ses attributs mécaniques. » (Nov. org. renov., aph. 58.