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Sophie Germain : Œuvres philosophiques, suivies de pensées et de lettres inédites, d’une notice sur sa vie et ses œuvres, par Hte Stupuy. Paris, Paul Ritti. 1879.

Le nom de Sophie Germain, estimé des mathématiciens, était à peu près inconnu des philosophes. Une note d’A. Comte dans la quinzième leçon du Cours de philosophie positive, quelques lignes de M. Ravaisson dans son Rapport sur la philosophie en France au XIXe siècle, le recommandaient seules à l’attention, et ces deux recommandations, d’origine si diverse, également favorables, n’étaient pas sans laisser une grande incertitude sur les véritables affinités philosophiques de l’auteur des Considérations générales sur l’état des sciences et des lettres. Il était difficile de la dissiper par la lecture du livre, car la première édition, parue en 1833, était introuvable. On vient de le rééditer, en y joignant, avec des pensées et des lettres inédites, une intéressante notice de M. Hte Stupuy sur la vie et les œuvres de l’auteur. C’est un service rendu à la mémoire d’une femme éminente, dont le nom ne doit pas tomber dans l’oubli, et à ceux qui s’intéressent à l’histoire des idées générales.

Le livre de Sophie Germain, quelle qu’ait été l’époque de sa composition, a une date marquée dans la succession des systèmes ; pour qui le comprend, il est une synthèse à larges traits des doctrines qui allaient bientôt se disputer la prééminence. Par certains côtés, il prépare la philosophie positive, et par d’autres il se rattache à cette philosophie rationnelle, qui, sans renouveler le scepticisme d’un Protagoras ou l’idéalisme d’un Parménide, prétend trouver dans l’homme la mesure de la vérité.

D’une manière générale, l’objet de Sophie Germain est de montrer qu’en toutes ses œuvres, science, littérature, beaux-arts, l’esprit humain suit de certaines règles communes, dont l’action est partout manifeste, bien que la trace n’en soit pas partout également accusée. Rien de plus divers, ce semble, que la construction d’un problème de géométrie et la composition d’un poème. Mais cette diversité recouvre des procédés généraux et semblables : l’unité du sujet, l’ordre et la proportion des parties, toutes choses sans lesquelles l’œuvre scientifique ou littéraire est dépourvue de cette vérité qui en fait la durée. La raison et le goût sont donc moins dissemblables qu’il ne semble. Le savant et l’artiste commencent par poser une question ou concevoir un sujet : ils imaginent ensuite les moyens les plus propres à résoudre l’une ou à réaliser l’autre ; puis ils les disposent dans un ordre déterminé par l’idée maîtresse, observant entre eux cette juste proportion qui résulte de leurs rapports avec la pensée principale, et de la sorte ils témoignent, entre la science et les arts, d’une communauté d’origine et de nature que rien ne voilait encore au premier jour de la sagesse humaine, où l’imagination était tout, mais qu’un progrès continu dans les diverses branches du savoir a fait méconnaître, en accentuant des différences, d’abord à peine entrevues.