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lues. Pour le moment nous n’essayerons pas de les exposer et nous nous bornerons à mettre sa lettre sous les yeux du public.

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Partout, depuis quelques années, se sont fondées non seulement des Revues, mais des Associations scientifiques en voie de prospérité, dont les réunions annuelles contribuent dans une certaine mesure au progrès des sciences. La science proprement dite cependant, par son caractère impersonnel, pourrait se passer à la rigueur de ces rapprochements de personnes ; la vue d’un visage n’y ajoute rien à la clarté d’une théorie, et, quand, un prestige individuel s’y exerce, c’est aussi souvent au détriment qu’au profit de la vérité. La philosophie au contraire, même expérimentale, même nourrie de faits substantiels, est pareille à ces plantes délicates qui se nourrissent de chair ; son tissu propre est toujours mêlé d’hypothèses hardies et fragiles de probabilités, de croyances non transmissibles par la plume seule ; et le principe de vie qui l’anime a son siège dans le cœur même du philosophe, dans ses penchants qui ont décidé du cours de ses études, dans le cours de ses études qui a modifié ses penchants, dans ses thèses de prédilection où se reflètent son passé studieux et sa nature essentielle. Il en est un peu des systèmes spéculatifs comme des eaux thermales, qu’il faut aller boire fréquemment à leur source même pour ne rien perdre de leur vertu. Le visage, l’accent, le regard, la parole d’un métaphysicien peuvent nous apprendre ce que ses écrits ne disent pas : quel cas il faut faire de ses affirmations, si elles émanent de son tempérament, ou de sa mémoire, ou de sa réflexion désintéressée, et enfin jusqu’à quel point il est convaincu de ce qu’il affirme. Je ne sais guère que le vieux Cournot qui, avec sa circonspection remarquable, ait toujours soin de marquer à la fois dans ses ouvrages la nuance exacte de sa pensée et le degré précis de sa confiance en elle, ou de sa défiance.

Si donc des assemblées de savants sont jugées utiles à la science, que devons-nous dire de futilité, de la nécessité des assemblées de philosophes en vue des progrès de la philosophie ? Et, puisque tel est le succès des premières, pourquoi ne nous laisserions-nous pas aller à croire, dès maintenant, au succès des secondes, si seulement elles parvenaient à s’établir ? Ralliés ou non aux mêmes solutions, les philosophes agitent les mêmes problèmes, ils respirent le même air intellectuel, tandis que les divers savants ne s’intéressent en général qu’à leur spécialité. Réunissez un chimiste, un botaniste, un géomètre : ils se tairont, puis chacun d’eux fera son discours, que les deux autres n’écouteront point. Réunissez un partisan de Spencer, un lecteur de M. Renouvier, un dégustateur de Cournot : la conversation ne sera pas en danger de languir.

C’est surtout en province que le besoin de pareils contacts, entre théoriciens dispersés, noyés dans un océan de profanes, se fait vivement sentir. Combien de jeunes professeurs de l’Université, combien de libres esprits clair-semés dans des villes de médiocre ou minime