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compayré. — du prétendu scepticisme de hume

En tout cas, et en laissant de côté les questions métaphysiques, il est évident que, sur le terrain des faits et dans le domaine de la psychologie proprement dite, Hume n’est rien moins qu’un sceptique. « Suis-je un sceptique ? dit-il quelque part. La question est superflue. Quiconque prend la peine de réfuter les subtilités du scepticisme absolu discute en vérité contre un adversaire qui n’existe pas. » On n’est pas un sceptique parce qu’on nie tel ou tel ordre de croyances. Sans doute il n’a pas fait assez grande la part de l’innéité ; il a trop accordé à la coutume, c’est-à-dire à la répétition des expériences ; il a volontairement omis la discussion de l’origine des impressions et des faits élémentaires de l’esprit. Le moi tel qu’il le conçoit, « cette collection, ce monceau de perceptions, » comme il l’appelle, n’est qu’une fantasmagorie qui déroule ses tableaux dans le vide ; c’est, suivant les expressions mêmes de M. Huxley, « comme un feu d’artifice, habilement composé de matériaux combustibles, qui s’enflamme sous l’action d’une étincelle et en s’enflammant produit des figures, des mots, des cascades de feu dévorant, jusqu’à ce qu’il s’évanouisse dans l’obscurité de la nuit. » Le monde où il conduit nos pas est une région obscure dont on ne voit ni le commencement ni la fin. Deux choses surtout manquent à son système : l’idée de cause et l’idée du but. Aussi n’a-t-il pas même soupçonné la théorie de l’évolution, tandis qu’il devinait la plupart des conceptions qui alimentent les polémiques de notre temps. S’il l’eût connue d’ailleurs, il l’eût probablement repoussée, déconcerté dans la prudence et la sagesse de ses vues par d’aussi audacieuses hypothèses.

Mais s’il a laissé dans l’ombre le cadre, si je puis dire, de la nature humaine, ses origines et sa destinée, du moins il a esquissé le tableau de ses opérations et de ses actes avec une habileté consommée. Il n’a pas su voir tout ce que la conscience humaine, cette clarté intérieure, projette autour d’elle ; mais la conscience elle-même, il l’a analysée, il l’a sondée avec une admirable sagacité. L’historien de la philosophie n’oubliera pas qu’il a le premier mis en relief tout ce que l’esprit doit à l’association des idées, au renouvellement des expériences[1]. Sans doute, dans ses analyses de la con-

  1. Dans un article de la Critique philosophique intitulé « Quel est le véritable père de la psychologie associationiste » (27 décembre 1877), M. F. Pillon nous a reproché de n’avoir pas dit assez nettement que Hume, avant Hartley, avait fondé la théorie de l’association des idées, et de nous être contenté de réclamer pour l’auteur du Traité de la nature humaine « le droit de partager cet honneur avec Hartley ». À vrai dire, nous croyons encore être resté dans la juste mesure en nous exprimant ainsi : car il semble que dans ses Observations sur l’homme, publiées en 1748, onze ans après le Traité, Hartley, qui cite scrupuleusement tout ce qu’il doit à son prédécesseur Gay, ne connaisse pas l’ouvrage de Hume. James Mill, qui a été comme l’anneau intermédiaire de la chaîne philosophique