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Dans les temps modernes, c’est Hobbes qui a le plus nettement exposé cette théorie[1]. De même, dit-il, que le mouvement produit dans l’eau tranquille par la chute d’une pierre ne s’arrête pas quand la pierre est au fond, de même l’effet produit par un objet sur le cerveau subsiste encore après que l’objet a cessé d’agir, et, bien que le sentiment ne soit plus, la conception reste. Quand on est éveillé, cette conception est confuse, parce que quelque objet présent est toujours là qui remue et sollicite les yeux ou les oreilles ; mais dans le sommeil, les images, résidus des sensations, apparaissent fortes et claires, parce qu’il n’y a pas de sensation actuelle ; en effet, le sommeil est la privation de l’acte de la sensation[2], et ainsi les rêves sont les imaginations de ceux qui dorment.

Cette idée, au fond élémentaire, s’est sans doute présentée à tous ceux qui se sont occupés des rêves ; nous l’avons rencontrée dans M. Radestock. Mais, à part les deux auteurs que je viens de citer, je n’en sache pas qui s’y soient arrêtés et en aient fait le pivot de leurs théories. Je lis par exemple dans M. Alfred Maury[3] : « Ainsi, pour que notre esprit saisisse la différence des idées et des sensations externes, il faut qu’il puisse comparer les deux ordres de sensations et mettre la réalité en regard de ce qui n’est qu’une conception. Si donc… les sens de l’extatique se trouvaient dans le même état que ceux de l’homme éveillé, les impressions extérieures le rappelleraient tout de suite au sentiment du réel, et il ne pourrait prendre des visions pour des faits ; or c’est ce qui n’a pas lieu. » Voilà, exprimé mieux que je ne pourrais le faire, tout le fond de la théorie du rêve. Mais M. Maury n’y a songé qu’à l’occasion de l’extase.

Maine de Biran [4] dit à peu près la même chose : « Dans l’état ordinaire, la persuasion momentanée qu’entraînent les fantômes de l’imagination se trouve continuellement détruite par les impressions plus vives des objets réels qui les effacent, comme la lumière du jour efface celle d’une lampe. » Malheureusement cet auteur, dont la logique rigoureuse était viciée par l’esprit de système, attribue à la volonté la disparition de ces vaines images, et si elles s’imposent à nous dans le sommeil, c’est que nous sommes complètement passifs, car le sommeil se caractérise uniquement par l’absence de volonté.

C’est donc le défaut comparatif d’éclat et de relief qui distingue la

  1. De la nature humaine, chap. III.
  2. « On reconnaît que l’homme dort quand il ne sent pas, » dit Aristote (Du sommeil et de la veille, chap, I).
  3. Du sommeil et des raves, 3e édit., chap. X, De l’extase, p. 242.
  4. Nouvelles considérations sur le sommeil, 2e partie, édit. Cousin, tome II, p. 251.