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minutieuses, les généralités les plus vastes et les pensées les plus fines ; ouvert à toutes les sciences ; travailleur infatigable, mesuré toujours, sage souvent, il dispose en maître de ses facultés et de sa parole ; aucun détour ne le trompe, aucune subtilité ne l’arrête, aucune illusion ne l’égaré, si ce n’est la sienne… » (P. 15.) Bien plus, le sophiste est de bonne foi : « La plupart des sophistes furent des esprits éminents ; tous procédèrent des plus grandes découvertes, des plus admirables progrès accomplis dans la science de notre pensée, et ils les poursuivirent presque toujours avec une conviction profonde, souvent avec un enthousiasme entraînant. » (P. 12) — Enfin le sophiste est nécessaire, on dirait presque providentiel. C’est par lui que se fait « l’expérience des grandes doctrines », ce qui veut dire que le progrès de la philosophie ne s’accomplit qu’à la condition de pousser à l’extrême les principes de tout système et de les suivre jusqu’à leurs dernières conséquences. Les sophistes s’entendent merveilleusement à tirer les dernières conséquences d’un principe.

On se demandera peut-être pourquoi, si M. Funck-Brentano a si bonne opinion de l’esprit des sophistes, il les décore d’un nom qui donne d’eux, quoi qu’on fasse, une idée défavorable ; pourquoi, s’ils sont d’honnêtes philosophes, coupables seulement de se tromper de bonne foi, il les désigne d’un mot qui exprime juste le contraire ; pourquoi enfin, s’ils sont nécessaires et rendent de si grands services, il les traite parfois avec tant de dureté ; car il paraît partagé entre deux tendances contraires, et, après les éloges que nous avons rapportés, il lui arrive de laisser échapper des paroles assez méprisantes. Il ne semble pas possible de faire à cette question une réponse satisfaisante, et, après avoir bien cherché, nous ne sommes pas parvenu à comprendre comment l’auteur n’a pas vu, ou, s’il l’a vue, comment il n’a pas fait disparaître la contradiction qui éclate entre les idées qu’il exprime et le langage dont il se sert.

On aura beau en effet définir, commenter, atténuer : personne ne prendra jamais le titre de sophiste pour un compliment. C’est une injure. Pourquoi donc M. Funck-Brentano injurie-t-il des hommes tels que Mill et M. Spencer ? S’il est certain, comme il le laisse voir en plusieurs passages, de posséder la vérité absolue, s’il détient par-devers lui un système qui résout toutes les difficultés et donne sur tout des clartés irrésistibles, ne peut-il du moins redresser, sans gros mot, les pauvres égarés, moins heureux, moins privilégiés ou moins bien doués que lui ? Il n’appartient certes pas à la confrérie de ceux qui prennent les invectives pour des raisons. Il sait discuter ; il a l’esprit trop cultivé et trop ouvert, il a trop fréquenté les philosophes pour qu’on puisse soupçonner en lui rien qui ressemble à du fanatisme ou à de l’intolérance. Pourquoi donc étaler à la première page du livre une intolérance qui n’est ni dans le livre lui-même ni dans l’esprit de l’auteur ? — M. Funck-Brentano a fait tort à lui-même et à son livre par le titre qu’il a choisi.