Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VIII.djvu/530

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
524
revue philosophique

vérité est qu’il supposait, qu’il croyait, si l’on veut, que cette définition était la seule possible ; puis il démontrait que l’être ainsi défini ne saurait ni exister, ni être conçu, ni être exprimé. Finalement, il ne croyait à rien : il faut que M. Funck-Brentano en prenne son parti avec tous les historiens de la philosophie. — Signalons dans celte étude sur Gorgias un curieux passage où l’auteur démontre, d’une manière fort subtile, que son devancier le P. Gratry a commis un grave sophisme en essayant de définir le sophisme.

Enfin M. Funck-Brentano a cru devoir compter Socrate au nombre des sophistes. Pourquoi ? Il n’a pas pris la peine de nous le dire, et il est impossible de le deviner. Il professe pour ce philosophe la plus vive admiration : il le compare aux plus grands hommes ; il n’a rien à lui reprocher. Qu’est-ce donc qu’un sophiste ? — Au reste, toute cette étude est bien incomplète et superficielle. On y rencontre des affirmations comme celle-ci : « Si la civilisation moderne doit au Christ ses croyances, elle doit à Socrate sa science entière : le premier il en prévit les caractères et en indiqua la voie certaine. » (P. 120.) Ce jugement nous semble exprimer exactement le contraire de la vérité. Socrate n’a pas connu le véritable esprit de la science : loin d’avoir contribué à ses progrès, il est moins avancé, il connaît moins la méthode scientifique que les philosophes qui l’ont précédé. Nous prenons la liberté de recommander à l’attention de M. Funck-Brentano le chapitre de l’Histoire du matérialisme, où Lange a établi ce point.

Dans la seconde partie de l’ouvrage, les théories de Stuart Mill sur les propositions générales, sur l’induction et la déduction, sur la logique des sciences morales, puis les antinomies, « les rêves et les sophismes doubles » de M. Herbert Spencer, comme dit notre auteur en son langage, sont exposés avec exactitude et discutés avec force. Nous ne saurions, sans dépasser les limites d’un compte rendu, entrer dans le détail de ces discussions fort abstraites ; mais il faut rendre cette justice à M. Funck-Brentano qu’il a plus d’une fois mis en lumière les points faibles des doctrines qu’il combat. On pourrait bien lui reprocher de ne pas entrer assez volontiers, comme l’exigerait une bonne méthode, dans la pensée de ses adversaires ; de ne pas se placer à leur point de vue ; de mêler trop constamment l’exposition et la critique. L’auteur ne se dépouille pas assez de ses propres idées pour bien comprendre, avant de les réfuter, les idées opposées. Par exemple, il lui arrive, en discutant la théorie de Mill sur l’induction, d’entendre le mot cause au sens de puissance active, d’énergie réelle, tandis que Mill, avec la plupart des philosophes et des savants, entend expressément par causante la succession invariable et inconditionnelle des phénomènes. Il est aisé, en prenant le même mot dans deux sens différents, de montrer que, suivant le logicien anglais, il n’y a pas de causes du tout (au sens transitif), tandis que d’autre part il considère le principe de causalité (au sens de succession inconditionnelle) comme le fondement de toute induction. On conclut triomphalement