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et proposé de nouvelles solutions aux problèmes, a aussi innové dans la langue et a eu sa terminologie. Les époques, les écoles et les systèmes ont ainsi leur histoire écrite dans les mots. Les termes techniques sont comme les jalons plantés sur la route que l’esprit humain a parcourue depuis le jour où il s’est imaginé de réfléchir sur les plus grands objets qui l’intéressent, sur l’univers et ses lois, sur lui-même, qui en fait partie.

C’est une grande et difficile entreprise que celle de nous retracer cette histoire ; d’étudier la naissance de ces mots et leur adoption, de les suivre dans leur transformation et les modifications qu’ils ont subies, de montrer leur rapport avec la marche des idées qu’ils sont appelés à fixer et à définir ; de faire voir ce parallélisme constant de la langue et des conceptions abstraites générales et fondamentales qui forment l’objet principal de la science philosophique dans toutes ses divisions ou branches principales.

On peut même se demander si une pareille histoire, comme indépendante, est possible. Peut-on concevoir l’histoire des mots sans celle des idées, des systèmes et des écoles qui les ont créés et adoptés ? L’objection est facile à résoudre. Sans doute, il faut être très versé dans la connaissance des systèmes pour s’engager dans une telle entreprise, et celui qui voudrait s’y livrer sans cette connaissance approfondie, avec le seul secours de l’érudition philologique, ne pourrait y réussir. Mais les deux points de vue ne sont pas moins distincts. On peut prendre pour sujet spécial les mots ou les termes eux-mêmes, et cela sans approfondir, ni discuter, ni apprécier les idées qu’ils représentent. On peut voir comment ils se sont formés à l’occasion et pour l’usage de ces idées, quelles modifications ils ont subies, comment chaque grand penseur a introduit ces mots nouveaux, l’emploi qu’il en a fait, les changements qui se sont opérés dans la langue à mesure et en même temps que des tendances nouvelles et une direction spéciale venaient à se produire dans le mouvement incessant de la pensée philosophique.

Le problème posé ainsi est donc spécial et légitime, et il a un haut intérêt qu’il est inutile de relever. Un pareil travail doit être celui d’un penseur à la fois et d’un érudit ; il demande un esprit ouvert, non exclusif, au courant de tous les grands problèmes et de la manière dont ils sont résolus à toutes les époques.

C’est ce qu’a entrepris M. Eucken. Le livre qu’il a publié n’est et ne pouvait être qu’un essai et une esquisse. Il n’a pas la prétention d’avoir traité le sujet complètement, en détail et dans toutes ses parties. Il ne se donne pas non plus comme le premier qui s’en soit occupé ni comme ayant fait une œuvre de tout point originale. Il s’est aidé, il le dit dans la préface, de tout ce qui s’est fait avant lui dans le même genre, quoique partiellement et d’une manière plus spéciale. Lexiques, dictionnaires, monographies, travaux académiques, histoires générales et particulières de la philosophie, il a tout mis à contribution. Ce qu’il