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les positivistes considèrent comme la forme primitive. Le livre entier est parsemé de pages d’une grande beauté où l’on retrouvera l’esprit des Matthew Arnold, des Straus et des Renan, cet esprit de condescendance attendrie à l’égard des erreurs humaines, cette indulgence presque paternelle que donne l’âge mûr de la science pour les tâtonnements des enfants et des peuples enfants. « Le père s’inquiète-t-il de quel nom étrange et inintelligible son enfant l’appelle, la première fois qu’il l’appelle d’un nom ? » Il ne s’en inquiète pas davantage, l’Être inconnu que tous les hommes, et les Hindous longtemps avant les autres, ont appelé leur père ; le savant doit se mettre un peu à sa place : devant les croyances des peuples primitifs, il doit être rempli de sympathie humaine, de pitié aimante, dayâ, comme on dit en sanscrit ; il doit être ému, mais non pas dupe, « Plus nous vieillissons, mieux nous apprenons à comprendre la sagesse de la foi de l’enfance. Mais, avant de l’apprendre, il y a une autre chose qu’il faut apprendre : c’est de nous débarrasser des idées mêmes de l’enfance. Le soleil couchant a la même douceur de chaleur que le soleil levant ; mais entre les deux il y a l’espace de tout un monde, il y a un voyage à travers toute l’étendue du ciel, sur toute l’étendue de la terre. » (P. 329.)

Chez M. Max Müller, on retrouve l’alliance si fréquente dans l’esprit anglais des tendances positives et empiristes avec un certain mysticisme doux et vague. Ce mysticisme tempéré ne se remarque-t-il parfois jusque chez Darwin ? M. Max Müller accepte volontiers l’axiome : Nihil in fide quod non antea fuerit in sensu (p. 213) ; mais, selon lui, dans les perceptions des choses finies par les sens est contenue la perception même de l’infini, et c’est cette idée d’infini, à la fois sensible et rationnelle, qui va devenir le vrai fondement de la religion. Avec les cinq sens du sauvage, M. Max Müller se charge de lui faire sentir, ou du moins pressentir l’infini, le désirer, y aspirer. Considérons le sens de la vue par exemple : « L’homme voit jusqu’à un certain point, et là son regard se brise ; mais, précisément au point où son regard se brise, s’impose à lui, qu’il le veuille ou non, la perception de l’illimité, de l’infini. » (P. 34.) Si l’on peut dire, ajoute M. Max Müller, que ce n’est pas là une perception au sens ordinaire du mot, encore moins est-ce un pur raisonnement ; « s’il semble trop hardi de dire que l’homme voit réellement l’invisible, disons qu’il souffre de l’invisible, et cet invisible n’est qu’un nom particulier de l’infini. » Non seulement l’homme saisit nécessairement l’infini en dehors du fini, comme l’enveloppant, mais il l’aperçoit à l’intérieur même du fini, comme le pénétrant ; la divisibilité à l’infini est d’évidence sensible, même lorsque la science semble demander comme postulat