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guyau. — de l’origine des religions

plus grands qu’il ne pourrait en produire. Ces effets sont-ils infiniment plus grands ? Ceci n’entre pas en question : il suffit qu’ils le dépassent pour le faire s’incliner et adorer. Si nos ancêtres ont adoré l’aurore, nous ne croyons pas avec M. Max Müller que ce soit parce que, en « ouvrant les portes du ciel », elle semblait ouvrir au regard un accès sur l’infini devenu visible. Nous n’admettrions guère plus avec M. Spencer que le culte des astres se ramène à une méprise de nom, ne soit qu’une branche du culte des ancêtres, et qu’on ait simplement enveloppé dans la même adoration l’âme d’un ancêtre appelé métaphoriquement le soleil et l’astre qui portait le même nom. Il nous semble qu’on peut fort bien révérer le soleil et les astres pour eux-mêmes.

En résumé, la conception la plus simple, la plus primitive que l’homme puisse se former de la nature, c’est d’y voir non pas des phénomènes dépendant les uns des autres, mais des volontés plus ou moins indépendantes ; le déterminisme scientifique ne devait être qu’une conception postérieure, incapable de venir d’abord à la pensée de l’homme ; le monde étant ainsi conçu comme un ensemble de volontés, l’homme a qualifié ces volontés selon la manière dont elles se conduisaient envers lui. « La lune est méchante ce soir, me disait un enfant ; elle ne veut pas se montrer. » L’homme primitif a dit aussi que l’ouragan était méchant, le tonnerre méchant, etc., tandis que le soleil, la lune, le feu étaient essentiellement bons et bienfaisants. Maintenant, voici des volontés tantôt bonnes, tantôt méchantes, armées d’une puissance supérieure et irrésistible, faciles d’ailleurs à irriter, promptes à la vengeance, comme l’est l’homme lui-même : ne sont-ce pas là des dieux, et que faut-il de plus ? Et si nous avons les dieux, n’avons-nous pas la religion même[1] ?

  1. Nous accorderons volontiers à M. Spencer que le culte des ancêtres a eu sa part dans la formation des croyances humaines ; on a déifié des héros non seulement après leur mort, mais de leur vivant même. Seulement pourquoi ramener à ce seul principe quelque chose d’aussi complexe que les religions ? pourquoi vouloir le retrouver en tout, là même où aucun fait positif ne semble y autoriser ?

    M. Spencer essaye de prouver par un petit nombre d’exemples que le culte des morts existe chez des peuplades très abruties, où l’on n’a pas remarqué d’autre religion, d’où il en conclut que le culte des morts est antérieur à tout autre culte. Quand cela serait vrai, il ne s’ensuivrait nullement que tous les autres cultes en proviennent. La religion des dieux et celle des morts ont très bien pu se développer à part l’une de l’autre, celle-ci plus vite, celle-là plus lentement. La mort est un fait tellement fréquent et brutal qu’il s’impose de bonne heure à l’attention des peuples primitifs ; l’idée de la sépulture se retrouve en germe jusque chez les animaux : n’a-t-on pas vu souvent, après leurs batailles, les fourmis remporter les cadavres de leurs soldats ? Mais de ce que l’intelligence des hommes a dû être nécessairement portée de ce côté