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guyau. — de l’origine des religions

dent leur action inutile. Quand une besogne se fait toute seule, on doit renvoyer l’employé par qui on la faisait faire ; mais il faut se garder de dire qu’il ne servait à rien auparavant, qu’il était là par caprice ou par faveur. Si nos dieux ne semblent plus maintenant que des dieux honoraires, il en était tout autrement jadis. Encore une fois, les religions ne sont pas l’œuvre du caprice ; elles correspondent à cette tendance invincible qui porte l’homme, comme parfois l’animal lui-même, à se rendre compte de tout ce qu’il voit, à se traduire le monde à soi-même. La religion est la science naissante.

Cette science enfantine a commencé par résoudre des problèmes purement physiques : le problème même de la vie et de la mort ne lui est d’abord apparu que sous sa forme physique, et elle l’a résolu, comme l'a montré M. Spencer, par des inductions tirées du sommeil, de la léthargie et du rêve. C’est seulement plus tard que la pensée humaine, emportée dans un voyage sans terme, dans une de ces migrations qui jetaient au loin les peuples primitifs, après avoir traversé tout l’espace visible et franchi son propre horizon intellectuel, est arrivée devant cet océan de l’infini qu’elle ne pouvait sonder même du regard. L’infini a été pour elle une découverte, comme l’était la mer pour les peuples venus des plaines ou des montagnes. De même que, pour l’œil qui commence à voir, les divers plans de l’espace sont indistincts et également rapprochés ; que c’est le toucher qui peu à peu fait reculer l’espace et nous donne l’idée du lointain ; qu’ainsi, avec notre main, nous ouvrons pour ainsi dire l’horizon devant nous ; de même, pour l’intelligence encore non exercée, tout semble fini, borné ; ce n’est qu’en avançant qu’elle voit s’agrandir son domaine ; c’est la pensée en marche qui ouvre devant elle-même la grande perspective de l’infini. Au fond, cette idée de l’infini est moins empruntée aux choses qu’au sentiment même de notre activité personnelle, à la croyance dans « l’essor toujours possible de notre pensée » ; agir, voilà ce qui, comme on l’a dit[1], est vraiment infini, ou du moins ce qui paraît tel. En ce sens, on peut bien dire qu’il y a dans toute action, dans toute pensée humaine, un pressentiment vague de l’infini, parce qu’il y a la conscience d’une activité qui ne s’épuise pas dans cet acte ni dans cette pensée ; se sentir vivre, c’est donc en quelque sorte se sentir infini : illusion ou réalité, cette idée se mêle à toutes nos pensées ; on la retrouve dans toute espèce de science ; mais elle ne produit pas la science, elle en naît ; de même, elle ne

  1. Alfred Fouillée, La liberté et le déterminisme, IIe partie.