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Nous ignorons comment s’appelait cet aîné. Quant à son jeune frère, dont la destinée devait être moins heureuse, on lui imposa au baptême — fut-ce son père ou bien son curé ? — le grand nom de Jules-César[1]. Il est vrai que, pour se mettre en règle avec la cour céleste, on avait commencé par lui donner pour patron saint François[2]. C’était une mode dès lors ancienne en Italie d’emprunter ainsi leurs noms aux héros de l’antiquité ; elle existait aussi en France, et La Bruyère s’en est moqué dans un chapitre de ses Caractères. Une coïncidence à noter, parce qu’elle est curieuse, mais surtout parce qu’elle sert à établir l’état civil de Vanini et qu’elle l’exempte du reproche d’avoir usurpé par gloriole un nom qui n’était pas à sa taille, c’est celle qu’il nous révèle lui-même, à la fin de ses Dialogues, dans une page empreinte de découragement et de mélancolie[3] : « J’ai trente ans à peine, dit-il à Alexandre, son interlocuteur, j’ai déjà composé bien des ouvrages ; quel est le fruit de tant de labeurs ? — La gloire ! — La gloire, mieux vaudrait une maîtresse ! — Mais une maîtresse n’est pas toujours sans partage… — En perd-elle rien de ses charmes ? —… tandis que vous êtes seul à jouir des suffrages des savants ! — Il y a à Rome un théologien qui porte mon nom de César, mon prénom de Jules, mon surnom de Vanini. Mes ouvrages sont autant à lui qu’à moi. — En ce cas, que n’ajoutiez-vous à votre nom patronymique, suivant la coutume espagnole, le nom illustre de voire famille maternelle : Lopez de Noguera ? — Eh ! que m’importent les noms ! — Bonne renommée passe richesse ! — Demandez aux marchands comment ils l’entendent. Et puis vous avez donc oublié les vers du Tasse :

La fama….
È un eccho, un sogno, anzi del sogno un’ombra
Ch’ad ogni vento si dilegua è sgombra.

— Mais alors je vous dirai avec Cicéron, si vous êtes à ce point détaché de la gloire, d’où vient que vous avez signé tous vos ouvrages ? — Ce n’a été que pour obéir aux saints décrets du concile de Trente. »

Ainsi Vanini s’appelait bien Jules-César, Il ne paraît pas avoir fait attention à cette homonymie. L’opinion avantageuse qu’il avait de lui-même, peut-être, et sans doute aussi l’accoutumance lui en allégeaient le fardeau. ]ses amis s’en amusent et en font des pointes[4] ; lui, non. Du reste, il n’a certainement pas cru à ce rapport mystérieux que beaucoup de ses contemporains supposaient entre le nom

  1. Titres de l’Amphith. et du De arcanis.
  2. Amphith., p. 67.
  3. De arcan. , p. 473 et suiv.
  4. Amphith., Préliminaires