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Un jour, il nous étonna bien, en se mettant à table, quand il nous dit : « Maintenant j’aimerai le pain et la soupe, j’en mangerai beaucoup, parce que cela donne du lait. » La poupée devait coucher dans son lit, et il criait de douleur, s’il ne la trouvait pas serrée contre lui, quand il s’éveillait. C’étaient des trépignements et des lamentations désespérées, si, lorsqu’il n’avait pas été sage, on ne lui permettait pas d’emporter son poupon dans son lit. Je n’en finirais pas de raconter toutes les inepties que son prétendu rôle de mère-nourrice lui faisait faire, au grand détriment de sa gaieté, de sa santé et aussi de son jugement. Avoir les yeux et la pensée fixés sur un ridicule morceau de bois et de carton peint, lorsqu’on devrait les avoir éveillés sur toutes choses autour de soi, croupir dans l’immobilité comme un oiseau sans ailes lorsqu’on devrait être toujours en mouvement, n’est-ce pas une situation physique et morale que l’on doit avec le plus grand soin éviter à un petit enfant ? Or c’est encore là un des méfaits dont la poupée est, plus souvent qu’on ne le croit, la cause et le moyen. Ai-je assez consciencieusement fait contre elle un réquisitoire, qui, je le crains, ne convaincra pas beaucoup de mères ?

Un dernière remarque, à propos des jeux enfantins qui se traduisent par la plaisanterie. Il faut s’attacher à leur laisser leur caractère primitif d’innocente espièglerie. La moquerie, défaut odieux, touche de bien près à la plaisanterie, qualité charmante. Je crois qu’en général ce défaut, même en ce qu’il a d’héréditaire, ne se montre pas dans les enfants âgés de moins trois ans, si les exemples et les encouragements ne l’ont pas développé chez eux. Le sentiment du ridicule paraît inconnu à cet âge. Il ne faudrait pas croire que les enfants, qui sont de bonne heure enclins à saisir et à imiter les défauts physiques des personnes, les apprécient et les imitent comme des défauts. Us sont souvent étonnés des aspects et des conformations bizarres : ils en demandent le pourquoi.

Un enfant de quatre ans, ayant un jour vu passer dans la rue un monsieur très voûté, et une autre jour un vieillard très petit, demandait, après les avoir très attentivement observés, comment cela avait pu se faire. Son frère, âgé de deux ans et demi, faisait des remarques du même genre : « Pourquoi il marche comme ça, ce monsieur, maman ? » Mais nulle perception du grotesque comme grotesque, ni chez l’un ni chez l’autre.

Un enfant de trois ans, ayant passé trois semaines chez des parents, revint avec ce défaut de la moquerie. Ayant vu quelquefois dans ses promenades un petit vieux bossu, il se mit à l’imiter, marchant, courbé en deux, à petits pas pressés, devant des bonnes qui le lais-