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de tout mélange que sera la colère du somnambule livré tout entier à ce seul sentiment.

Ces faits de suggestion observés chez les somnambules sont-ils applicables à la seule pathologie ? Nous ne le pensons pas. Nous croyons au contraire qu’ils doivent être étendus à la psychologie normale. En effet, les données de la pathologie ne sont jamais que des données physiologiques, mais avec exagération de certains phénomènes, ou atténuation de certains autres. Si, chez un somnambule, une attitude communiquée provoque aussitôt une idée en rapport avec cette altitude, de même (on sera presque forcé de l’admettre), chez une personne normale, un mouvement musculaire communiqué ou réflexe provoquera aussi une idée en rapport avec ce mouvement.

Il est donc très vraisemblable que, chez les individus en état de veille, chaque mouvement provoque des idées et des sentiments tout aussi bien que chez les somnambules. La seule différence est que, chez le somnambule, cette idée provoquée devient, par suite de la passivité et de l’isolement de l’esprit, toute-puissante, tandis que, chez l’individu éveillé, cette idée se confond dans l’ensemble des sensations de toutes sortes qui arrivent aux centres nerveux. En somme, il n’y a là qu’une différence de degré : chez le somnambule, la sensation est plus forte ; chez l’individu éveillé, elle est plus faible ; mais elle existe aussi bien dans le second cas que dans le premier. La conclusion générale qu’on peut tirer de ces faits est assez importante : chaque mouvement, soit volontaire, soit réflexe, soit communiqué retentit sur les centres nerveux et modifie le cours de nos idées et de nos sentiments.

Par suite de la complexité des actes cérébraux et médullaires qui font mouvoir les muscles, nous exécutons des mouvements qui ne sont pas toujours des mouvements voulus, conscients : il en est qui sont réflexes ; il en est d’autres qui, sans être à proprement parler réflexes, se font machinalement. La conscience de ces mouvements n’est pas dans la volonté qui les a commandés, mais dans la sensation musculaire qui les transmet aux centres. Combien des phénomènes intimes de la pensée nous resteraient inconnus s’ils ne se traduisaient pas au dehors par un mouvement de nos muscles ? Le sens musculaire est la voie par laquelle un grand nombre de phénomènes inconscients deviennent conscients.

Pour prendre un fait qui précisera ma pensée, supposons quelqu’un lisant un article ennuyeux (comme celui-ci par exemple) et ne se rendant pas bien compte de son ennui. S’il vient à bâiller pendant sa lecture, ce bâillement involontaire l’avertira de son