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baudouin. — histoire critique de jules césar vanini

relever de ses erreurs, à supposer que, par impossible, il en ait commis[1]. S’il avance d’ailleurs quelque opinion hasardée, il demande pardon de la liberté grande, et il fait observer doucement qu’aucun décret ne défend de parler ainsi[2]. Bref, il s’entend à merveille à faire vivre en bonne intelligence le prêtre de profession et le philosophe de tempérament qui sont réunis chez lui. Il y a plus, il les fait travailler de concert dans l’intérêt de sa fortune : à i’abbé, de représenter, comme il convient à son caractère, et de se mettre en avant, avec sa trousse d’université ; quant au pauvre philosophe, eh bien ! qu’il s’efface, qu’il se déguise au besoin, puisqu’ainsi va le monde et qu’il ne peut faire autre chose ; mais libre à lui par exemple de se dédommager, s’il lui plaît, de sa condescendance, par une grimace spirituelle, par une ironie ou par un sourire !

Notre imagination, assombrie par l’horrible tragédie de la place du Salin, nous rend mal la physionomie de Vanini : elle nous le fait voir sérieux et triste ; il était en réalité tout malice et tout enjouement. Nous allons tout à l’heure le suivre dans ses études et dans ses voyages. Achevons de découvrir qui il est avant de nous mettre en sa compagnie. Et puisque nous savons que le jésuite Garasse et le ministre David Durand se sont fait gloire de le haïr comme athée, méfions-nous des portraits qu’ils nous ont laissés de lui. Au risque d’avoir à en rabattre, apprenons de lui-même ce qu’il croit être, cherchons-le dans ses ouvrages.

On a déjà vu qu’il s’est donné, dans les Dialogues, un interlocuteur du nom d’Alexandre. C’est un Italien comme lui, plus jeune que lui ; son compatriote, qui plus est ; homme d’esprit un peu crédule, volontiers enthousiaste, qui s’en veut de s’être attardé dans les voies de l’ancienne école, et qu’émerveille à tous coups l’explication naturelle des phénomènes de la nature. En 1616, ce personnage devait avoir à Paris un grand nombre d’originaux, parmi les non-savants et les jeunes gens de la cour. Vanini l’a pris sur le vif, et il l’a rendu fidèlement avec un bon sentiment comique, comme on dit, et une grande aisance de dialogue.

Etant donné ce caractère, Alexandre doit toujours être devant le philosophe dans une sorte d’extase, et, de fait, il n’y manque jamais. Il ne se borne pas aux compliments qui sont de la courtoisie du siècle ; il dépasse sans cesse la mesure des louanges. Thomas Morus avait dit à un inconnu qu’il venait d’entretenir : Vous êtes un démon ou vous êtes Érasme ! et c’était Érasme. Alexandre dira : Vous êtes un dieu ou vous êtes Vanini ! Et Vanini de répondre avec un sou-

  1. De arcan., p. 422, 495.
  2. De arcan., p. 487, 488.