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étant une partie de la nature, devait être étudié selon la méthode démontrée bonne en matière de science naturelle. De là un premier progrès : les fonctions corporelles de l’homme ont été soumises à l’analyse expérimentale, et la physiologie a commencé d’exister. Restait l’ordre des fonctions mentales. Les philosophes continuaient de professer que la pensée n’avait rien de commun avec la nature, que son étude ne pouvait être soumise aux règles des sciences objectives. Cette barrière suprême a été franchie de nos jours, après les autres.

De nombreux penseurs ont admis sans hésiter que l’Esprit est une fonction de la Vie. Partant de cette idée dominante qu’il y a une logique commune à toutes les sciences et par suite une commune méthode, ils tiennent pour évident que la méthode pratiquée dans l’étude des phénomènes vitaux est aussi la seule qu’on puisse rationnellement appliquer aux phénomènes spirituels. Cette thèse capitale se déduit du reste rigoureusement de la théorie de la connaissance.

En réalité, la distinction du subjectif et de l’objectif ne correspond pas aune séparation essentielle des faits et des choses ; il n’y a pas d’abîme entre le monde extérieur et le monde intérieur, et voilà pourquoi il n’y a point de pont à jeter par dessus, comme le voulait Cousin. Tout événement, toute sensation a un double aspect, objectif et subjectif, selon le mode d’appréhension. Grâce à un artifice, par abstraction, je puis ne considérer que l’un de ces aspects : je dirai par exemple que telle sensation est une flamme, une couleur en dehors de moi, ou que c’est un changement produit dans ma conscience. Cette décomposition artificielle des faits est éminemment utile : elle permet d’étudier à part les lois de ce qu’on appelle l’objet ou la nature, et les lois du sujet ou de l’humaine nature. Tout le monde range les premières sous les titres de cosmologie et de biologie ; tout le monde également fait commencer la science de l’homme à la psychologie et la fait finir à la sociologie. Mais les philosophes se demandent où est le passage des sciences naturelles aux sciences morales, des faits objectifs aux faits subjectifs. C’est ici que s’engage la dispute des idéalistes et des matérialistes ; visionnaires les uns et les autres, qui s’imaginent revenir du pays des « choses en soi ».

La position à prendre et à garder par le savant est beaucoup plus modeste : il s’en tiendra à l’expérience. Celle-ci lui montre que les deux ordres de faits qu’on oppose sont les deux aspects inséparables de toute connaissance. Les faits objectifs, qui s’étendent depuis le minéral jusqu’à l’homme et à l’organisme social, il les exprime en termes de matière et de mouvement ; arrivé aux faits subjectifs, qui sont des états de conscience, il ne peut les exprimer en termes semblables, la sensation étant de sa nature irréductible au mouvement. Mais il ne commet pas pour cela la faute d’imaginer un passage métaphysique de l’un de ces ordres à l’autre ; qu’il y en ait un ou qu’il n’y en ait pas, la chose n’importe guère à la science, parce que, peu soucieuse des noumènes, elle se contente de déterminer les relations