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baudouin. — histoire critique de jules césar vanini

sités, comme était Naples, où la foi raisonne et où la raison croit. Elle ne s’attaque pas, cette maladie, aux intelligences médiocres ; nul n’en est atteint s’il n’est apte à tout comprendre ; mais, s’il en est atteint, il devient capable de tout prouver. Me permettra-t-on de dire que Vanini avait contracté cette aptitude sous la discipline de ses régents ? Il en était on ne peut plus fier. Il en fait parade dans les Dialogues : il s’en amuse ; il prend un plaisir d’enfant à jouer du pour et du contre, et, quand Alexandre se récrie[1], il rit de tout son cœur, ou bien il prononce, après Cardan, que les philosophes disent bien des choses souvent auxquelles ils ne croient point[2]. Le malheureux n’apprendra que trop tôt, quand il démontrera devant ses juges l’existence de Dieu, que l’auditoire des philosophes ne croit pas toujours ce qu’ils disent.

Tel est Vanini, ou plutôt tel il sera quelque temps avant d’arriver à Toulouse. En 1606, quand il a fini ses études de droit, au moment où, devenu docteur in utroque[3], il va quitter Naples pour se rendre à Padoue, — il avait alors 21 ans, — rien n’altère encore l’unité de son caractère ni la sincérité de son esprit. C’est un disciple confiant de l’enseignement orthodoxe, mais qu’affriande déjà la philosophie, c’est-à-dire l’ensemble des sciences qu’a embrassées le vaste esprit du pihosophe par excellence : Aristote. Elles lui plaisent, parce qu’elles se prennent à un fond réel et sensible ; elles l’intéressent par leurs curiosités, qu’il appellera plus tard leurs arcanes ; elles le séduisent surtout par leurs devinettes, car les questions scientifiques d’un certain ordre ne sont guère que cela pour lors. N’y ayant pas encore de méthode assurée, il n’y a presque pas de vrais problèmes. On étudie la nature, comme on fait la métaphysique, à force d’imagination. Par exemple, cinq écoles célèbres, Naples, Pise, Bologne, Vérone, Padoue, luttent de conjectures pour expliquer d’où vient qu’une boule de chaux, qui n’est qu’à demi plongée dans l’eau, s’humecte néanmoins dans toutes ses parties[4]. La persistance des feuilles dans les arbres verts est pareillement une énigme à la mode[5]. Toute la physique est dans ce goût ; on comprend qu’alors est physicien qui veut, et l’on ne s’étonne plus que Vanini, à peine adolescent (adolescentulus), ait composé un traité de physique[6]. Le livre ne nous est pas parvenu, si tant est qu’il l’ait fait imprimer ; mais nous savons de lui-même qu’il l’a

  1. De arcan., p. 229, 365, 366, 418, etc.
  2. De arcan., p. 441.
  3. M. Settembrini a trouvé dans les registres de l’Université de Naples, à la date du 6 juin 1606, et M. Palumbo a reproduit en fac-similé le serment que Vanini prêta à cette occasion. Je donne plus bas le titre du livre de M. Palumbo.
  4. De arcan., p. 125, 126.
  5. De arcan., p. 160.
  6. De arcan., p. 89, 166.