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baudouin. — histoire critique de jules césar vanini

métaphysique. Il a exprimé ses dédains d’une manière bien spirituelle en deux endroits de ses Dialogues. C’est à propos de l’immortalité de l’âme et des revenants. Sur ce grave sujet, son opinion était celle de ses auteurs favoris, c’est-à-dire qu’il était fort sceptique. Vous pensez qu’il s’en cachait ? Pas le moins du monde ; il l’avouait ingénument. Encore voulait— il qu’on lui sût gré, avec saint Paul, de croire à force de foi ce que la physique ne pouvait démontrer[1]. Cela ne l’empêcha pas de se faire, en certaine circonstance, l’avocat de cette grande cause. Une de ses preuves, qu’il faut citer, c’est que l’Église nous enseigne que les corps doivent ressusciter ; or cela serait-il possible s’il n’y avait pas d’âmes[2] ? — Ne voilà-t-il pas une belle raison ! Ce n’étaient ni Pomponace ni Cardan qui la lui avaient suggérée, car il nous apprend lui-même que, précisément en ce voyage d’Allemagne, il chercha sans succès aux foires de Francfort[3] les traités de l’immortalité de l’âme que l’an et l’autre avaient composés. On peut juger sur cet échantillon de sa veine métaphysique. Il en sentait bien lui-même l’indigence, si bien que quand Alexandre l’interroge sur l’autre vie : « Attendons, dit-il, pour traiter ce sujet, que je sois devenu vieux, riche et Allemand[4]. » Ne croyant pas à la durée de l’âme, jugez s’il avait foi aux revenants ! Ici, les répugnances de son esprit se fortifient des aveux de certains nécromanciens. Il en avait rencontré plusieurs dans la basse Allemagne, et il s’était mis en tête de découvrir leurs secrets. Ces gens, qu’il avait su séduire, lui avaient fait confidence que leur art ne s’adressait pas aux morts. Toutes leurs incantations et tous leurs manèges n’allaient qu’à frapper et surexciter sans mesure l’imagination des femmes[5]. Cela fait, elles voyaient tout ce qu’on voulait. Cela n’empêche pas, dit Vanini, que l’existence des revenants ne soit généralement admise. Le paganisme n’en doutait pas : les anciens mettaient sur les tombeaux de leurs morts ce que ceux-ci avaient aimé, vivants, des gâteaux de miel et de lait qui pouvaient plaire encore à leurs âmes. Et à propos, ce serait pour les gens simples une expérience à faire : qu’ils défoncent un tonneau de vin près du cadavre d’un Allemand, ils verront bien si son âme reviendra boire[6].

Vers la lin de 1608, les deux voyageurs arrivèrent à Strasbourg[7], dans l’intention de pousser jusqu’en Hollande. Ils s’arrêtèrent dans cette ville le temps de faire imprimer, aux frais du bon Génois probablement, en caractères d’une grande élégance, les Commentaires astronomiques du philosophe de Taurizano. Pendant que le livre

  1. Amphith., p. 164.
  2. Amphith., p. 164.
  3. Amphith., p. 171.
  4. De arcan., p. 492.
  5. De arcan., p. 478.
  6. De arcan., p. 454.
  7. De arcan., p. 424.