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ANALYSESegger. — Le langage chez les enfants.

qu’il voit habituellement dans ses promenades au jardin du Luxembourg, une bonne, par exemple, et l’enfant qu’elle conduit. Un jour, il nous quitte en prononçant tant bien que mal les trois noms de Luxembourg, de la bonne, de l’enfant. Il va dans la pièce voisine, fait semblant de dire bonjour à ces deux personnages, revient raconter avec la même simplicité ce qu’il vient de faire. Évidemment rien dans la pièce voisine ne rappelle le Luxembourg, ni ses habitués. C’est donc là ce que j’appellerai un acte d’imagination dramatique, c’est le drame dans son germe élémentaire. » (P. 13.)

Combien d’autres observations intéressantes nous pourrions recueillir encore dans l’opuscule de M. Egger ? Après avoir étudié, dans les trois premiers chapitres de son travail, les progrès du langage et de l’intelligence chez les tout petits enfants, l’auteur pousse un peu plus loin ses recherches et examine jusqu’à la huitième ou neuvième année le développement des idées morales et religieuses. Ici, comme partout, il se montre avec raison préoccupé de rapprocher l’évolution individuelle de l’enfant et l’évolution spécifique de l’humanité. « L’enfance, dit-il, renouvelle chaque jour sous nos yeux des tâtonnements et des essais que l’histoire retrouve dans la vie des anciennes sociétés et dont la trace subsiste encore dans la vie des sociétés modernes, » — « Dans l’écolier de sept ou huit ans, nous avons sous les yeux un Indien de l’âge védique, un Grec du temps d’Homère, un Hébreu du temps de Moïse. » (P. 65.)

Cette idée, dont la vérité ne saurait être contestée, domine toutes les observations de détail, toutes les anecdotes de la vie enfantine recueillies par M. Egger : elle en fait l’unité, elle en constitue la philosophie générale. L’auteur s’est gardé de tout système préconçu, de toute théorie sur l’âme et les facultés. C’est avec discrétion qu’il interprète les faits. Il ne pousse pas cependant la réserve jusqu’à dissimuler son spiritualisme, et l’ouvrage s’achève par une franche et ferme déclaration de principes : « L’âme est l’idée qui s’impose à nous comme dernière et seule explication des mystères de notre nature. »

Il n’y a pas, selon nous, d’inexactitudes graves à relever dans ce remarquable essai de psychologie infantile. Notons seulement un ou deux points qui pourraient prêter à la discussion. Est-il absolument vrai de réduire ce qu’on appelle l’instinct « à des facultés déjà tout en acte dès le début » (p. 8) ? N’est-ce pas un peu se payer de mots qu’établir une distinction radicale entre « les faits qui tiennent à l’intelligence et ceux qui tiennent à l’instinct » (p. 6) ? D’autre part, dans un langage philosophique précis, tel que celui de M. Egger, est-il permis déparier de « fonctions intelligentes, mais sans conscience : » (p. 7) ? L’intelligence n’est-elle pas inséparable de la conscience ? Disons enfin que quelques observations, un peu nouvelles, auraient besoin d’être contrôlées, celle-ci, par exemple, que « la voix des enfants, dans le premier âge, n’est pas caractérisée par un timbre individuel. » Mais, ces légères réserves faites, il faut s’empresser de dire que, par la