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g. tarde. — la croyance et le désir

mouvement tour à tour ralenti et accéléré d’un mobile qui va de B à C, puis de C à B, moyennant repos au point C ?

Ce qui m’empêche d’admettre le caractère quantitatif des sensations, c’est que, visiblement, elles se dénaturent dans leurs augmentations ou diminutions apparentes, qui sont de véritables métamorphoses. Pour prendre les plus favorables à la thèse contraire, le chaud par degrés devient le brûlant et n’a plus rien de semblable à lui-même, la sensation de poids léger (objet des mesures de M. Delbœuf) se transforme vite en fatigue et accablement mortel, et change ainsi du tout au tout, — et même, dans la transition du noir au blanc à travers les nuances infinies du gris, je ne puis voir qu’une succession de qualités distinctes et hétérogènes. A fortiori en est-il ainsi des autres sensations. Mais peut-on dire que, dans le parcours de leurs variations en plus et en moins, la croyance et le désir s’altèrent jamais radicalement ? Peut-on nier qu’ils restent constamment identiques à eux-mêmes et qu’ils gravissent ou descendent en nous, sans altération perceptible, l’échelle immense, incomparablement supérieure à toute autre, qui sépare leur maximum de leur minimum ? Au moment où une certitude s’établit en nous, il semble peut-être qu’une distinction radicale se creuse entre elle et l’opinion grandissante qui l’a précédée. Mais cette illusion se dissipe si l’on s’observe attentivement. Je regarde un décor de théâtre représentant un vase de fleurs ; je commence à être simplement porté à croire qu’elles sont naturelles et non peintes ; puis, subitement, je vois, je deviens visuellement sûr, qu’elles sont en effet naturelles. Toutefois cette instantanéité du changement opéré n’est qu’apparente, de même que le passage de l’état liquide à l’état solide des corps est en réalité continu, malgré la solution de continuité qu’il semble présenter. Et, en outre, la certitude visuelle dont je parle est si peu un état inextensible et tout d’une pièce, qu’elle serait sensiblement augmentée par le concours d’une certitude tactile.

À cette question : Le degré du doute (ce qui serait contradictoire, le doute étant un zéro de quantités ; mais on comprend que l’auteur a voulu dire le degré de la croyance) est-il mesurable en droit et en fait ? M. John Venn répond négativement (Revue philosoph., août 1878), en se fondant sur la complexité des mobiles et des motifs qui nous déterminent à croire. Autant vaudrait dire que la chaleur du sang n’est point mesurable, même avec les meilleurs thermomètres, parce qu’elle résulte d’un nombre prodigieux d’actions chimiques et de fonctions vitales extrêmement variées.

La difficulté principale de reconnaître le caractère quantitatif de la croyance et du désir a pour cause le caractère éminemment qua-