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Th. ribot. — désordres généraux de la mémoire

comme on aurait pu le faire dans celle d’un enfant, ils n’étaient pas saisis même par action réflexe. Ni la vue ni le contact de l’instrument n’éveillaient d’association d’idées. La plus parfaite destruction du tissu cérébral n’aurait pas effacé plus complètement les effets de l’éducation et de l’habitude. — Cet état dura quelques semaines. » La mémoire de ce qui avait été oublié fut recouvré lentement, péniblement, sans nécessiter cependant une rééducation aussi complète que dans le cas qui va suivre[1].

La deuxième observation, due au professeur Sharpey, est l’un des exemples les plus curieux de rééducation qui ait été décrite. Je n’extrais de son long article que les détails psychologiques. Il s’agit encore d’une femme de vingt-quatre ans, de complexion délicate, qui pendant six semaines environ fut prise d’une tendance irrésistible à la somnolence. Cet état s’aggrava de jour en jour. Vers le 10 juin, il devint impossible de l’éveiller. Elle resta ainsi pendant deux mois. Pour la nourrir, on portait à ses lèvres une cuiller, elle avalait ; quand elle était rassasiée, elle serrait les dents et éloignait la bouche. Elle paraissait distinguer les saveurs, car elle refusa obstinément certains mets. Elle eut quelques courts moments de réveil à de rares intervalles. Elle ne répondait à aucune question, ne reconnaissait personne, sauf une fois « une ancienne connaissance qu’elle n’avait pas vue depuis douze mois. Elle la considéra longtemps, cherchant probablement son nom. L’ayant trouvé, elle le répéta plusieurs fois en lui serrant la main ; puis elle retomba dans son sommeil. » Vers la fin d’août, elle revint peu à peu à son état normal.

Ici commence le travail de la rééducation. « En revenant de sa torpeur, elle paraissait avoir oublié presque tout ce qu’elle avait appris. Tout lui semblait nouveau ; elle ne reconnaissait pas une seule personne, même ses plus proches parents. Gaie, remuante, inattentive, charmée de tout ce qu’elle voyait ou entendait, elle ressemblait à un enfant. « Bientôt, elle devint capable d’attention. Sa mémoire, entièrement perdue en ce qui concerne ses connaissances antérieures, était très vive et très solide pour tout ce qu’elle avait vu et entendu depuis sa maladie. Elle recouvra une partie de ce qu’elle avait appris autrefois, avec une facilité très grande dans certains cas, moindre dans d’autres. Il est remarquable que, quoique le procédé suivi pour recouvrer son acquis ait paru consister moins à l’étudier à nouveau qu’à se le rappeler avec l’aide de ses proches, cependant, même maintenant, elle ne parait pas avoir conscience, même au plus faible degré, de l’avoir possédé autrefois.

  1. Brain, A journal of Neurology, octobre 1879, p. 317 et suivantes.