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sociales, se tenir toujours aussi près que possible des réalités concrètes, leur emprunter sans cesse des exemples et des moyens de vérification. Il faut aussi, le plus souvent, savoir se renfermer dans des sociétés similaires, sans viser à une généralité indéfinie. La généralité, dans toutes les sciences, suppose l’identité des conditions. Or cette identité ne peut s’affirmer absolument que dans l’ordre mathématique ; c’est, par excellence, l’ordre des sciences abstraites. Dans les sciences physico-chimiques, les conditions, en devenant plus complexes, imposent plus de réserve. Il a fallu souvent restreindre la généralité de certaines lois, lorsqu’on a reconnu des conditions nouvelles dont on n’avait pas tenu compte. Une réserve plus grande encore est commandée dans les sciences biologiques. Peu de lois s’appliquent exactement à toutes les formes de la vie, et les plus générales ne peuvent se faire accepter, même à titre d’hypothèses, qu’après une vérification rigoureuse dans un grand nombre d’espèces concrètes. Dans les sciences sociales, la complexité est telle qu’on ne peut légiférer, d’une façon sûre et précise, que pour des milieux déterminés.

En vain parle-t-on de vérités universelles et éternelles ; toutes les théories, par la force des choses, supposent un certain état de civilisation, où domine tout un ensemble de traditions, de mœurs, d’idées dont il est impossible de ne pas subir l’influence, alors même qu’on n’en voudrait pas tenir compte. Il peut y avoir, pour ces théories, comme pour celles de toutes les autres sciences, une vérité absolue, une vérité de tous les temps et de tous les lieux, mais toujours sous la réserve qu’elle se renfermera exactement dans les conditions qui ont servi à l’établir. Là où l’on cesse d’être sûr que les mêmes conditions se rencontrent, la vérité ne cesse pas d’être la vérité, mais elle ne peut plus s’affirmer avec la même certitude. Ainsi l’esclavage est une institution absolument détestable à tous les points de vue. maintien, dans notre civilisation, est une offense à la morale et au droit naturel et ne peut avoir que les plus funestes conséquences dans l’ordre politique et dans l’ordre économique. Toutefois les États chrétiens où il subsiste encore peuvent être excusables au point de vue moral d’en ajourner l’abolition complète. Ils pourraient provoquer, en le supprimant brusquement, une crise économique ou politique dont ils ont le droit et le devoir de ne pas assumer la responsabilité. Les mêmes excuses s’appliquent plus facilement encore aux peuples barbares, chez lesquels commence à peine à pénétrer l’idée toute philosophique de l’injustice de l’esclavage. C’est enfin par les mêmes considérations qu’il convient de juger l’esclavage antique, alors qu’il était chez tous les peuples la base commune et