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s’apparait à lui-même — ou du moins aux autres — comme ayant une double vie. Illusion naturelle, le moi consistant (ou paraissant consister dons la possibilité d’associer aux états présents des états qui sont reconnus, c’est-à-dire localisés dans le passé suivant un mécanisme que nous avons essayé de décrire précédemment. Il y a ici deux centres distincts d’association et d’attraction. Chacun attire un groupe d’états et reste sans influence sur les autres.

Il est évident que cette formation de deux mémoires dont chacune exclut l’autre en totalité ou en partie ne peut pas être un fait primitif ; c’est le symptôme d’un processus morbide ; c’est l’expression psychologique d’un désordre qui reste à déterminer. Ceci nous conduit, à notre grand regret, à traiter en passant une grosse question : celle des conditions de la personnalité.

Laissons d’abord de côté l’idée d’un moi conçu comme une entité distincte des états de conscience. C’est une hypothèse inutile et contradictoire ; c’est une explication digne d’une psychologie à l’état d’enfance, qui prend pour simple ce qui paraît simple, qui invente au lieu d’expliquer. Je me rattache à l’opinion des contemporains qui voient dans la personne consciente un composé, une résultante d’états très complexes.

Le moi, tel qu’il s’apparaît à lui-même, consiste en une somme d’états de conscience. Il y en a un principal, autour duquel se groupent des états secondaires qui tendent à le supplanter et qui sont eux-mêmes poussés par d’autres états à peine conscients. L’état qui tient le premier rôle, après une lutte plus ou moins longue, fléchit, est remplacé par un autre autour duquel un groupement analogue se constitue. Le mécanisme de la conscience est comparable, sans métaphore, à celui de la vision. Dans celle-ci, il y a un point visuel qui seul donne une perception nette et précise ; autour de lui, il y a un champ visuel qui décroit en netteté et en précision à mesure qu’il s’éloigne du centre et se rapproche de la circonférence. Notre moi de chaque moment, ce présent perpétuellement renouvelé, est en grande partie alimenté par la mémoire, c’est-à-dire qu’à l’état présent s’associent d’autres états qui, rejetés et localisés dans le passé, constituent notre personne telle qu’elle s’apparait à chaque instant. En un mot, le moi peut être considéré de deux manières : ou bien sous sa forme actuelle, et alors il est la somme des états de conscience actuels ; ou bien dans sa continuité avec son passé, et alors il est formé par la mémoire suivant un mécanisme que nous avons décrit précédemment.

Il semblerait, à ce compte, que l’identité du moi repose tout en-