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e. beaussire. — du droit naturel.

tous les peuples. Rien n’est donc plus nécessaire que de leur opposer des définitions exactes et précises de la politique et du droit.

La confusion est moins fréquente entre le droit naturel et l’économie politique. Ces deux sciences se sont constituées dans les temps modernes sur des bases distinctes avec des méthodes et des fins différentes. Elles ont su maintenir leur distinction dans leurs principes généraux ; mais elles l’ont plus d’une fois méconnue dans des questions particulières où leurs objets semblaient se confondre. Telle est la question du droit de propriété. Les deux sciences s’y rencontrent dès leur point de départ, et il n’est pas de question plus grave pour chacune d’elles. Rien n’est plus difficile que de la traiter au point de vue du droit pur, sans oublier l’influence de certaines considérations économiques, ou de n’en étudier que le côté économique, en se dégageant de toute théorie préconçue sur le droit de propriété. Les sophismes qui jusqu’à nos jours ont cherché à justifier l’esclavage ne faisaient qu’introduire dans le droit naturel un intérêt économique, mal entendu en lui-même, mais tellement consacré par la pratique de tous les temps et de tous les siècles qu’il semblait impossible d’y renoncer sans un bouleversement social. Une fausse notion de droit naturel sur le prêt à intérêt a longtemps pesé et pèse encore sur des transactions de l’ordre purement économique. La célèbre théorie de Ricardo sur la rente de la terre a introduit dans l’économie politique des considérations qui ne relèvent que du droit naturel. Les théories qui fondent sur le travail seul le droit de propriété introduisent, au contraire, dans le droit naturel, un ordre d’idées qui n’appartient qu’au point de vue économique. Il est donc très important de bien distinguer les deux points de vue. Ce n’est pas assez de dire que l’un est celui du juste, l’autre celui de l’utile. On préjuge ainsi une question philosophique sur laquelle les plus grands esprits, dans tous les temps, n’ont pas cessé d’être divisés : celle de la morale utilitaire. Lors même que le juste et l’utile ne seraient qu’un même principe, la distinction subsisterait toujours entre l’économie politique et le droit naturel. La première a en vue un intérêt d’un certain ordre : la production et la distribution des richesses ; le second se propose un intérêt ou, si l’on veut, une utilité d’un ordre différent : le respect de la justice. Dira-t-on que la justice est elle-même une richesse et la condition de toutes les autres ? Quand la proposition serait vraie autrement que par métaphore, la justice n’embrasse pas, du moins, toutes les richesses, et elle n’est pas leur unique source. Elle peut être en honneur dans une société qui ne sait pas s’enrichir. Elle peut être méconnue dans une société riche et prospère. Enfin elle garderait sa place parmi les intérêts vitaux