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bénard. — la théorie du comique.

causer la mort, comme pour cet auteur (Philémon) qui, à cent ans, mourut d’un accès de rire en voyant un âne manger un panier de figues. Le comique de l’art peut produire une sorte de chatouillement tel qu’il se convertit en douleur, ce que Platon a déjà remarqué (Philèbe). Notez que ce fait est tout moral, l’impulsion vient de l’esprit. La partie extérieure ou physique lui emprunte son caractère ; autrement le rire perd sa signification, et alors il se retrouve aussi bien dans la souffrance, dans la colère et le désespoir ; il naît même dans l’excitation de l’esprit, comme le rire hystérique, celui du chatouillement, de même qu’il y a les larmes de la joie. Ainsi, expliquer le plaisir que fait éprouver le comique par quelque cause matérielle est aussi absurde que d’expliquer les douces larmes que fait verser l’élégie par le besoin d’évacuation du sac lacrymal. De toutes les causes morales assignées au plaisir du comique, la plus déraisonnable est celle de Hobbes, qui le fait dériver de l’orgueil. D’abord le sentiment de l’orgueil est par lui-même sérieux. Dans le rire, on se sent plutôt au-dessous qu’au-dessus des autres. S’il en était ainsi, le rire naîtrait toutes les fois que notre amour-propre est agréablement chatouillé par cette comparaison avec les autres ; il se produirait à la vue de toute erreur dans autrui, comme nous faisant sentir notre supériorité. Plus cette supériorité serait grande, plus l’erreur serait risible. Or, loin delà, nous souffrons souvent de l’humiliation d’autrui. D’ailleurs le plaisir du vrai comique, comme tout sentiment vrai de joie, doit naître plutôt de la vue d’un bien que de celle du mal ou d’un défaut dans nos semblables.

Quelle est donc la véritable cause de la jouissance que nous éprouvons dans le rire et qui explique le côté sensible de ce singulier phénomène ?

Le plaisir du risible, qui, on l’a vu, réside en nous, dit Jean-Paul, naît d’un jeu de notre esprit provoqué par le concours simultané et l’entrecroisement de trois séries de pensées réunies dans une seule intuition : 1o une suite de pensées vraies qui se produit en nous, 2o une suite de pensées également vraies qui se produit dans autrui, 3o une suite de pensées illusoires intercalées par nous et attribuées à autrui. — Si nous comprenons bien, cela veut dire que, quand un objet provoque en nous le rire, l’objet risible, qui est toujours un être intelligent ou supposé tel, a une suite de pensées vraies ou conséquentes à sa situation, bien qu’il se trompe, comme dans l’exemple de Sancho. En second lieu, nous nous plaçons à son point de vue, et la même suite de pensées se produit en nous ; mais en même temps l’absurdité devient si frappante qu’une troisième conception s’y mêle, qui détruit l’illusion.