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bénard. — la théorie du comique.


IV


Nous passons plus légèrement sur les autres représentants de cette école de l’ironie. Nous dirons cependant quelques mots des deux chefs du romantisme allemand, Fr. et W. de Schlegel.

Le principe de l’ironie, qui, chez Fr. de Schlegel, prend le nom de génialité divine, peut s’énoncer ainsi : Le talent et le génie sont des dons divins. L’artiste ou le poète qui a du génie est un être placé au-dessus des conditions de la nature humaine. Il est un être à part, séparé, isolé du reste des humains, à qui tout est permis, dont la manière de penser, de vivre et d’agir n’a rien de commun avec celle des autres hommes. Ceux-ci, à côté de lui, sont des esprits bornés, des êtres vulgaires, dont le bon sens, la raison étroite est incapable de rien comprendre de ce qui fait l’essence même de l’art et de la poésie : esprits prosaïques, dont la platitude éclate dans tous leurs jugements ; tout ce qui les dépasse leur paraît faux et paradoxal. Mais précisément le paradoxe, c’est ce qui caractérise les œuvres du génie. Le monde de l’art, c’est la grande paradoxie. Aussi le poète ou l’artiste a le droit de heurter partout le sens commun, de lui rompre en visière. Il a le privilège de s’élever au-dessus de toutes les règles conventionnelles par lesquelles on prétend arrêter le libre essor de son génie, poser des limites à son imagination. Comme Dieu, le poète crée librement. Qui aurait le droit de lui imposer des lois ? L’arbitraire et le caprice, la libre fantaisie, voilà sa loi. La seule loi de l’art est la liberté absolue, la plus libre de toutes les licences. Le rejet absolu de toute règle et de toute loi, c’est ce qui caractérise le romantisme et le distingue du classique. Celui-ci a pu avoir sa raison d’être, mais son règne est fini ; ce règne est celui du despotisme appuyé sur une législation qui n’est que la légalité (Gesetzlichkeit). Partout on établit des distinctions factices, arbitraires entre des formes qui se mêlent et se confondent, le tragique et le comique, etc., on assujettit l’art à des règles particulières, admises par les esprits bornés.

Nous avons eu en France le reflet de cette théorie ; nous n’avons pas besoin de nommer les auteurs qui l’ont reproduite et appliquée dans leurs œuvres. En Allemagne, où tout porte la livrée de la métaphysique, elle a revêtu l’appareil des formules abstraites. Celles-ci rendent plus facile d’en reconnaître la filiation ou la parenté avec le système philosophique dont elle est éclose. Ici, c’est l’imagination