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g. tarde. — la croyance et le désir

résultat un accroissement de sensations pénibles en soi ou agréables.

Mais il y a une autre différence plus importante encore et déjà indiquée.

Quand Bentham, au commencement de ce siècle, fondait la morale et le droit sur l’utilité et affirmait la possibilité d’évaluer mathématiquement la somme de plaisirs et la somme de douleurs qu’un acte doit engendrer, il s’abusait certainement, puisque les peines et les plaisirs de diverses natures, sans commune mesure, se refusent à entrer comme des chiffres dans une addition. Mais son erreur n’était pas complète, puisque plaisir et peine impliquent désir et contre-désir, ajoutons croyance positive et négative, et il a passé bien près de la vérité sans la voir, avec cette myopie ou distraction philosophique qui s’allie étrangement à l’acuité de sa vision intellectuelle, subtile et pénétrante dans certaines analyses. On se demande à sa lecture s’il ne voit pas ou s’il dédaigne de réfuter les objections palpables que soulèvent ses assertions et qu’il n’indique jamais. Sans nul doute, il méconnaît la nature du vrai vinculum juris, il mutile la notion du devoir ; son utilitarisme est une sorte de darwinisme social anticipé, avec cette différence que, si le meilleur, aux yeux du grand naturaliste, est toujours le plus apte, le plus utile, Darwin a senti lui-même l’insuffisance de son idée-mère et s’efforce de la compléter en faisant, par des voies détournées, par la sélection sexuelle, par le principe de corrélation de croissance, une assez belle part au point de vue esthétique et même téléologique. Nulle concession pareille chez Bentham ; il voit tout clairement, excepté les limites de son point de vue. Ce n’est pas lui, mais un de ses arrière-disciples les plus indépendants, qui a pu écrire : « Rien dans le droit ne naît seulement d’un sentiment d’utilité ; il y a toujours certaines idées antérieures sur lesquelles travaille le sentiment d’utilité et dont il ne peut que former des combinaisons nouvelles » (Sumner Maine, Ancien droit, p. 220), comme il y a toujours certaines données morphologiques, certains agencements de caractères qualifiés types vivants, qui servent de thème indispensable aux variations et à la sélection naturelle. Étant donné qu’avant tout il s’agit d’entretenir la série des sacrifices quotidiens aux mânes des ancêtres, la législation, dans le cas où la famille menacerait de s’éteindre, doit fournir des moyens artificiels ou violents de la perpétuer, l’adoption, l’inceste par exemple. Étant donné qu’avant tout il faut empêcher le type labié de périr (quoique l’obstination des plantes de cette famille à présenter une tige carrée et non ronde, des feuilles opposées et non alternes, soit peu explicable par leur intérêt individuel), les individus les plus propres à le maintenir et à le développer devront être choisis.