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g. tarde. — la croyance et le désir

par un syllogisme naturel dont sa volonté d’atteindre un idéal est la majeure, et dont la mineure lui est fournie par le jugement qu’il porte sur la plus ou moins grande aptitude de divers projets de loi à transformer son rêve en réalité. Mais pourquoi le législateur selon le cœur de Bentham se proposerait-il tel état social de préférence à tel autre ? À une question analogue : Pourquoi la réalisation de tel type vivant s’impose-t-elle plutôt que celle de tout autre ? les évolutionnistes ne peuvent faire qu’une réponse : Les circonstances extérieures et internes étant données, le type adopté, et momentanément fixé, était le plus apte à produire un maximum de vie. C’est forcément vague ; et j’en veux tirer, ce seul enseignement qu’en telle matière, comme en toute autre, la recherche d’un optimum est injustifiable, à moins de s’appuyer sur celle d’un maximum.

La réponse des utilitaires est moins vague, mais de même nature : Telle institution, le mariage monogamique, par exemple, et la propriété individuelle, doit être voulue, parce qu’elle est la source de la plus grande félicité ou de la moindre infortune possible. Mais pourquoi cette plus grande félicité ou cette moindre infortune doit-elle être voulue ? Quoique Bentham dogmatise ainsi en tête de son Traité de législation : « Le bonheur public doit être l’objet du législateur » sans se donner la peine d’en expliquer la raison, on comprend clairement à sa lecture que le motif inexprimé de cet aphorisme est celui-ci : « Le législateur veut satisfaire le désir public ; or tout le monde désire être heureux ; donc le législateur doit rechercher le plus grand bonheur de tous. »

Je tiens donc pour accordé par Bentham que sous son calcul de plaisirs et de peines, se cache une vraie supputation de désirs, et que l’utilité générale, en ce qu’elle a de mesurable, se confond avec le désir général.

Cependant, par cette rectification se révélera un vice radical du système. Pourquoi des deux quantités de l’âme n’a-t-il égard qu’à l’une et exclut-il l’autre, la croyance, de ses opérations arithmétiques ? Il est vrai qu’implicitement il en tient compte, mais dans des limites trop restreintes et sans avoir l’air de s’apercevoir qu’il brouille ce qui tient à la croyance, à l’opinion nationale proprement dite avec ce qui a trait aux vœux de la nation. Avec une haute raison il recommande le respect des droits acquis, de ce qu’il appelle les attentes d’un peuple, les actes de foi d’un peuple en ses biens futurs, et, parmi les maux à conjurer, il cite en première ligne la peine d’attente trompée, les dépossessions de toutes sortes. Ailleurs, parmi les qualités des peines et des plaisirs, à côté de leur vivacité, de leur durée, etc., il signale leur certitude. Parfois on croirait qu’il s’appuie sur l’élé-