Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, X.djvu/288

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
278
revue philosophique

veau, chez l’artiste et le poète, recèle, à leur insu, l’amour du savoir qui en est l’âme profonde. Leurs inventions sont des découvertes dans le réel ou dans le possible ; leurs fantaisies les plus excentriques, des explorations scientifiques de L’imaginable. Chacun de leurs chefs-d’œuvre est une Amérique où la colonie des imitateurs herborise après eux. En affinant et déployant le cœur, en perfectionnant et enrichissant la langue, ils révèlent leurs profondeurs inconnues ; par eux, ces vieux thèmes traditionnels, règles prosodiques, règles musicales, types de l’art consacrés, attestent leur richesse virtuelle d’inépuisables variations. Les arts sont des sciences qui créent leur objet. Si le poète ne se contente pas de collectionner des documents humains, des trouvailles psychologiques ou ethnologiques, s’il les coordonne entre elles et les accorde avec des raretés rythmiques ou philologiques non moins précieuses, c’est en vue d’un jugement d’approbation esthétique de soi ou d’autrui, et le plus sincère et le plus fort possible. Je ne puis voir non plus, dans son noble labeur, qu’une grande soif de foi vive. Et cela est si vrai qu’on va souvent de la poésie à la science, mais jamais on ne revient de la science à la poésie, du fruit de l’esprit à sa fleur. Est-ce à dire que toutes les passions humaines se réduisent au fond à une seule, la curiosité ? Oui ; et de même que toutes les forces mécaniques, d’après les nouveaux physiciens, tendent à s’épanouir finalement en rayonnement de chaleur et de lumière, avide inutilement de l’immensité, et de même que cette tendance incontestable n’empêche point, en attendant le terme final, la conversion fréquente et inverse de la chaleur en mouvement de masse, — pareillement, toutes nos passions tendent à connaître, même lorsqu’elles mettent obstacle à l’extension de notre savoir. Amour changeant, ambition instable, insatiable avidité, qu’est-ce, après tout, que l’attrait du mystère irritant, de ces émotions inéprouvées ou de ces aspects étranges que les uns demandent à de plus hauts élans du cœur ou à de plus hautes cimes de la richesse et du pouvoir, les autres, tels que Spencer, à de plus colossales pyramides de sciences et de conjectures ? C’est peut-être la raison pour laquelle, seule entre toutes nos passions, la curiosité, qui les résume, n’a pas de contraire imaginable. La haine s’oppose à l’amour ; à l’ambition, à la vengeance, on peut opposer l’humilité et la chanté chrétiennes, etc. ; mais que pourrait bien être l’anti-curiosité, le désir de ne rien connaître ? C’est aussi impossible à concevoir que l’anti-conscience ou que l’anti-espace, car l’espace, précisément parce qu’il est constitué de directions antagonistes dont il est le combat, ne peut se battre comme elles. L’homme même qui, pour échapper à la certitude de ses maux, se jette dans la mort avec la