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e. beaussire. — du droit naturel.

son activité. Tel acte est un devoir dans telle circonstance qui cesse de l’être dans une circonstance différente, en face d’un devoir plus impérieux. Tel devoir strictement accompli est pour tel individu un effort d’héroïsme et pour tel autre un acte à peine méritoire. Enfin, la valeur morale de chaque acte ne peut s’apprécier exactement que dans son rapport avec la moralité générale de l’agent et la moralité moyenne de son temps et de son pays. La morale fait ainsi entrer en ligne de compte, dans ses jugements et dans ses préceptes, les plus délicates observations de la psychologie individuelle et de la psychologie sociale.

Tout autre est l’étude du droit, considéré non plus dans l’agent moral, mais dans la personne qui est l’objet de l’action et qui peut la réclamer comme un devoir envers elle-même. Les droits des individus sont leurs titres généraux et permanents pour obtenir certains devoirs. Ces titres tiennent à des conditions morales ; l’âme seule les possède et les revendique, alors même que leur objet est tout extérieur et matériel ; mais ils ne dépendent pas de la moralité des individus, et ils ne varient pas avec elle. La propriété du malhonnête homme est aussi respectable que celle de l’honnête homme ; elle comprend le même ensemble de droits ; elle réclame le même ensemble de devoirs. Elle peut être infirmée dans sa jouissance par un vice déterminé, la prodigalité ; mais ce n’est pas parce que ce vice est le plus grave au point de vue moral, c’est parce qu’il est le plus dommageable dans l’ordre particulier d’intérêts que la propriété représente.

La morale est éclairée directement par le droit. Dès qu’un droit est reconnu, il devient pour la morale le principe d’un ordre de devoirs. Le droit peut, à son tour, être éclairé par la morale. Ses conditions d’exercice sont d’autant mieux connues qu’on a étudié plus profondément les devoirs qui lui correspondent et toutes les causes individuelles ou sociales qui peuvent influer sur l’accomplissement de ces devoirs. Mais, quelques lumières que le droit puise dans la morale, elles ne lui apportent qu’un concours indirect ; il se révèle à la conscience par des considérations qui lui sont propres. Tant que la liberté individuelle n’a pas été conçue comme un droit inhérent à la nature humaine, le progrès des idées morales n’a eu pour effet que l’adoucissement des mœurs à l’égard des esclaves ; il a fait entrer dans lame des maîtres le sentiment de certains devoirs de mansuétude et d’humanité ; mais il ne les a pas élevés au sentiment du devoir de justice qui condamne absolument l’esclavage. Il a fallu également que la liberté de conscience fût reconnue comme un droit naturel pour que le respect des croyances s’imposât comme un