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hensive, parfaitement démontrée et expliquant absolument tout. Leur affliction dit qu’ils y ont cru !

Le désir humain, en effet, ne se repose et ne se reposera jamais que dans une certitude jugée par lui développable en une série vraiment indéfinie de possibilités d’autres certitudes. Ces possibilités sont de deux sortes, les unes jugées miennes et les autres jugées non-miennes. Celles-ci sont nommées réalités, choses ; celles-là, je les nomme mes facultés, mes puissances, mes espérances, mes droits, mes attentes, comme dit Bentham. Le besoin de la certitude maxima se dédouble ainsi en besoin de vérité et besoin de sécurité. Le premier ne pourrait être pleinement assouvi que par une science achevée, infinie, impossible, qui atteindrait et pénétrerait la source première de toutes les réalités ; en attendant, il se satisfait comme il peut, chez la plupart des hommes simples et bons, par la foi en un dieu ou en des dieux, en des êtres jugés omniscients, dont l’affirmation par le croyant implique l’affirmation de tout le réel et de tout le possible, en des êtres tout-puissants, dont l’affirmation par le croyant implique celle de toutes les transformations du possible en réel, du réel en possible, et de toutes les certitudes visuelles, tactiles, etc., auxquelles ces miraculeuses métamorphoses donneraient lieu. Dieu est pour le chrétien une Encyclopédie ineffable, qu’il est assuré de lire un jour, s’il fait son salut. Quant au second besoin, il est inassouvissable autrement que par la conscience d’une puissance sans bornes et par la garantie d’une vie sans fin. Combien sommes-nous loin de ce double idéal, malgré les efforts séculaires de nos sociétés pour étendre un peu la libre activité et les moyens d’action de leurs membres et pour prolonger la vie moyenne ! Plus simplement, — fictivement dira-t-on, mais par une fiction longtemps nécessaire et encore utile, — la foi en l’immortalité de l’âme a répondu depuis longtemps à ce vœu profond de sécurité absolue. Ce n’est donc point par une routine absurde, par un simple attachement à des banalités solennelles, c’est avec justesse que l’on proclame ces deux antiques croyances où se résume l’essence de la religion, sinon de toutes les religions, la foi en Dieu et la foi en l’immortalité, comme deux, grandes conditions de la paix sociale et deux fortes assises de l’ordre social. Ceux qui vivent heureux sans elles les ont remplacées, et par des illusions pareilles au fond, malgré leur forme plus positive. L’homme doué d’une excellente santé et de quelque aisance n’est-il pas dans l’impossibilité de croire sérieusement qu’il mourra jamais ? Et ne puise-t-il pas dans cette sorte d’assurance vague et constante d’immortalité l’air de béatitude qui lui est propre ? L’homme installé dans une puissance