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Quant à la position du point qui est le siège de la sensation, elle nous est donnée par notre activité musculaire. — Cette explication, généralement admise, de la manière dont se forme ce qu’on a appelé le sens du lieu suppose continuellement une chose : c’est que deux sensations de contact qu’on rapporte à deux endroits différents du corps possèdent chacune un signe local qui les distingue et les empêche de se confondre. Supposez que toutes nos sensations de contact soient absolument uniformes. Une personne qu’on piquera au doigt ne pourra pas dire qu’on l’a piquée au doigt plutôt qu’à l’orteil, car si l’on eût pincé son orteil, elle aurait éprouvé la même sensation. Pour qu’une sensation de contact ou de pression s’associe avec la vue du doigt, une autre avec la vue de l’orteil, il est de toute nécessité que ces deux sensations soient différentes ; sans cela, elles se confondront, et la sensation dont le siège est au doigt pourra suggérer indifféremment l’image oculaire d’une tout autre partie du corps.

Nous sommes maintenant en mesure de savoir s’il est vrai que les pointes du compas qui sont perçues isolément éveillent deux sensations différentes ; si ces sensations peuvent être localisées d’une façon distincte pour chacune, c’est la preuve qu’elles diffèrent. Pouvons-nous les localiser ? L’expérience répond affirmativement. J’appuie les deux pointes du compas transversalement sur l’avant-bras d’une personne, avec un écart de trente-neuf lignes : c’est l’écart nécessaire pour que la personne sente isolément les deux pointes. Ensuite, je relève alternativement une des deux pointes en priant la personne de m’indiquer si c’est celle de droite ou celle de gauche qu’elle ne sent plus. Chaque fois la personne répond juste ; elle localise chacune des sensations, sans jamais les prendre l’une pour l’autre. Preuve évidente que chacune de ces sensations diffère un peu de l’autre, et, si elles diffèrent, elles doivent rester distinctes ; c’est une conséquence de la loi mentale que nous étudions.

Nous avons avancé une seconde hypothèse pour expliquer qu’on puisse trouver deux sensations tactiles qui dans des conditions déterminées soient semblables et par conséquent se fusionnent. C’est que la nuance locale d’une sensation se dégrade d’une façon continue quand on va d’un point à un autre ; de sorte que si l’on prend deux pointes de la peau qui ne présentent à la conscience qu’une variation insensible, les deux sensations qu’on y provoquera nous paraîtront identiques. C’est précisément ce qui doit arriver lorsque les deux pointes du compas ne réussissent à éveiller qu’une seule impression ; les deux sensations sont semblables, et par conséquent