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de l’identité des causes et de celle des effets, dans le même sens où l’on entend ce principe en physique ? Pouvons-nous affirmer, en parlant de la ressemblance des individus d’une même espèce, que des causes identiques ont présidé ici à la naissance d’êtres identiques ? Par quelle vérification expérimentale le démontrer rigoureusement ? Le naturaliste d’ailleurs sait parfaitement qu’il n’y a pas dans une espèce deux individus parfaitement semblables ; le physicien n’a pas plus de peine à prouver qu’un être ne se trouve jamais deux fois dans des circonstances absolument semblables. Que l’on ne vienne donc pas invoquer en faveur de la théorie monophylétique l’autorité à coup sûr incontestable du principe logique qui régit les inductions des physiciens. Il faut admettre que les causes les plus différentes peuvent produire, dans le monde organique, des effets que l’imperfection de nos moyens d’investigation, que la vérité toujours provisoire et la certitude avant tout pratique de nos classifications, nous obligent de regarder comme suffisamment semblables pour figurer dans une même espèce.

Voyons si les faits, à défaut d’arguments théoriques, sont moins favorables à la théorie polyphylétique qu’à la théorie ordinairement préférée. Les marsupiaux se rencontrent à la fois en Australie et dans le sud de l’Amérique. Comment les faire descendre des mêmes ancêtres, sans recourir à l’hypothèse bien hasardée d’une réunion primordiale des deux continents ? Citons encore un exemple. Lorsque les Européens abordèrent pour la première fois en Amérique, introduisant avec eux le cheval, on sait l’étonnement superstitieux des Indiens pour cet animal, qui lui était entièrement inconnu. Pourtant la paléontologie moderne a constaté l’existence du cheval en Amérique aux époques tertiaire et quaternaire. Et, ce qui complique le problème, plus on descend profondément dans les couches géologiques du sol américain, plus les échantillons du cheval fossile que l’on découvre diffèrent des échantillons de la même espèce que l’on retrouve dans les entrailles du continent européen. La doctrine monophylétique exige pourtant qu’à mesure qu’on se rapproche de la souche primitive les variétés dérivées se montrent de plus en plus semblables. Il semble donc raisonnable d’admettre, dans le cas dont il s agit, que l’espèce des chevaux vivants est sortie d’ancêtres originairement multiples et divers, et n’est arrivée que par un lent processus de convergence à la lorme qui la caractérise actuellement. Et la paléontologie paraît bien prouver que le cheval américain dérive du coryphodon, tandis que le cheval européen sort du paléontherium. La doctrine monophylétique avait fait admettre jusqu’ici que les chevaux américains et européens ont une commune origine. Ces faits prouvent, à tout le moins, que le transformisme peut aussi légitimement, et suivant les cas, recourir à l’une ou à l’autre des deux théories qui se disputent l’explication du difficile problème de la descendance des espèces.

Le Propriétaire-Gérant,
Germer Baillière.