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Il y aurait beaucoup à dire sur ces ingénieux tours d’escrime, auxquels se plaisait jadis l’éristique des Eléates. Hamilton a eu beau déclarer irréfutables les raisonnements de Tortue et d’Achille, de la flèche, des dés, dont il semble que le souvenir ait inspiré Collier ; tout le monde ne s’est point contenté à aussi bon marché que lui[1]. Sans doute, tout mouvement dans l’espace implique un passage à travers tous les points qu’enferme une ligne ou une surface divisibles à l’infini ; mais n’oublions pas que le mobile est, lui aussi (idéalement parlant), divisible à l’infini, que le temps donné comprend à son tour une série infinie d’instants, chacun de ces instants pouvant être réduit de plus en plus. Dès lors, la relation existe du même au même. Chaque mouvement accompli est opéré dans un espace divisible à l’infini, mais par un mobile également divisible à L’infini, durant un temps enfin divisible à l’infini. Entre le mobile, l’étendue mesurée et le temps employé, l’adaptation est parfaite, et il ne subsiste plus aucune hétérogénéité.

6o Ici nous revenons, ce semble, sur nos pas : toutes les théories de la vision s’accordent, affirme notre auteur, à expliquer la perception visuelle par l’action de particules matérielles sur le nerf optique. S’il en est ainsi, comment tant de corpuscules peuvent-ils, sans se brouiller, se réunir sur un si petit théâtre, de manière à nous faire contempler le ciel, la terre et les innombrables objets qui la couvrent ? — L’objection vise surtout la thèse des idées images et, dans tous les cas, ne vaudrait que contre un monde extérieur apparent, doctrine précédemment abandonnée.

7o C’est la condition de toute chose créée de dépendre entièrement de son auteur, et l’effort n’est pas moins grand pour conserver l’être à ce que l’on a produit et qui par soi n’est que néant, que pour douer d’existence ce qui n’était pas. De cette vérité, tout le monde convient ; mais, s’il en est ainsi, que nous parle-t-on d’une matière infinie, une, indestructible, soustraite par conséquent au contrôle divin ? Antinomie redoutable, que soulève l’hypothèse d’un monde matériel extérieur et qui en démontre l’inanité.

8o Dieu sera-t-il étendu, ou non ? S’il règne en dehors de l’espace, le voilà chassé de l’arène où s’agitent ses inventions et dépouillé de toute influence sur l’œuvre sortie de ses mains : car peut-on agir où l’on n’est pas[2] ? Si, au contraire, il occupe l’espace, il devient identique aux choses, s’enferme dans le cadre par lui tracé. Mais, cette fois, c’est le monde qui cède la place ; tous deux ne peuvent à la fois

  1. Notamment Stuart Mill.
  2. Carlyle, à la suite de Leibnitz, n’hésiterait pas et répondrait : oui.