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crieront-ils que le scepticisme est proche. Et quels dogmatiques ! Des hommes tels que Nourris et Descartes, dont l’un intitule[1] un de ses chapitres : Que l’existence du monde intelligible est plus certaine gue celle du monde naturel et sensible, et dont l’autre, s’occupant à réédifier la science, fait taule rase de toutes ses croyances antérieures, annihile toute existence par la pensée et nous tient pendant de longues pages en suspens avant de nous apprendre ce qu’il sauvera de ce naufrage. Mais jamais l’auteur de la Clavis est-il allé si loin ? A-t-il même, en passant, jamais nié que le monde existât ? S’il ne le croit pas extérieur, du moins l’a-t-il toujours proclamé réel ?

Collier n’avait point tort de prévoir que l’accusation de scepticisme lui serait adressée. Son erreur est de s’en prendre à des penseurs amis, coupables tout au plus, l’un d’un peu de timidité, l’autre de trop de prudence. Pauvres idéalistes ! Dès la première heure, on les a mis violemment au rang des sceptiques, c’est-à-dire des ennemis qu’ils se sont précisément fait forts de vaincre. Vainement ils attestent que leur suprême ambition est d’asseoir pour l’éternité la science, on redoute leur concours et on les traite d’alliés dangereux. L’auteur des Dialogues d’Hylas et de Philonoüs choisit comme sous-titre à ses entretiens cette menace : Réfutation du scepticisme ; le fondateur de la philosophie critique s’annonce comme sûr de triompher du doute de Hume, ce qui n’a point empêché les Écossais et leurs trop dociles imitateurs d’outre-Manche de compter au nombre des plus déclarés sceptiques et Kant et Berkeley.

Le traité peut dès a présent être considéré comme clos. Toutefois, en guise de péroraison, l’auteur nous laisse sur des considérations peu dignes du reste du livre, qu’elles courent le risque de rapetisser. À quoi bon se poser la question : De quelle utilité le présent ouvrage peut-il être ? L’auteur en est réduit à faire valoir, comme le principal exemple des bienfaits que la théorie nouvelle peut apporter, le jour inattendu qu’elle jette sur le dogme de l’Eucharistie. La présence du Fils de Dieu sous des voiles matériels et tangibles n’aura plus rien qui choque, puisque ces voiles seront de pures apparences dépourvues de toute valeur intrinsèque et se réduisant, en définitive, à de simples impressions éprouvées par nous. Sans doute le mystère est ainsi bien allégé ; mais est-ce la mission des dialecticiens que de venir en aide aux docteurs des révélations ? Au reste, de quoi Collier s’embarrassait-il ? La philosophie n’a point à se préoccuper d’être utile. Son utilité première est d’être vraie.

  1. Voy. John Norris, An Essay towards the theory of an Ideal or Intelligible world.