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avec quelque chose en plus ; or ce sont les désordres de la mémoire qui seuls nous intéressent. Les travaux qui se poursuivent depuis une quarantaine d’années sur les maladies du langage ont montré que, par ce terme unique d’aphasie, on désigne des cas très dissemblables. C’est que l’aphasie étant non une maladie mais un symptôme, varie suivant les conditions morbides qui la produisent. Ainsi certains aphasiques sont privés de tout mode d’expression ; d’autres peuvent parler et non écrire, ou inversement écrire mais sans parler : la perte des gestes est bien plus rare. Parfois, le malade conserve un vocabulaire assez étendu de signes vocaux et graphiques ; mais il parle et écrit à contre-sens (cas de paraphasie et de paragraphie). Parfois il ne comprend plus le sens des mots, écrits ou parlés, quoique l’ouïe et la vue soient intactes (cas de surdité et de cécité verbales). L’aphasie est tantôt permanente, tantôt transitoire. Souvent elle est accompagnée d’hémiplégie. Cette hémiplégie, qui frappe presque toujours le côté droit, est, par elle-même et indépendamment de toute amnésie, un obstacle pour écrire[1]. — Ces cas principaux présentent des variétés qui diffèrent elles-mêmes suivant les individus. On entrevoit la complexité de la question. Heureusement, nous n’avons pas à la traiter ici. Notre tâche, qui est déjà bien embrouillée, consiste à rechercher parmi ces désordres du langage et de la faculté expressive en général ce qui paraît imputable à la mémoire seule.

Il est clair que nous n’avons pas à nous occuper des cas où l’aphasie résulte de l’idiotie, de la démence, de la perte de la mémoire en général ; pas davantage des cas où la transmission seule est entravée : ainsi des lésions de la substance blanche aux environs de la troisième circonvolution frontale gauche peuvent entraver la faculté expressive, la substance grise étant intacte[2]. Mais cette double élimination n’allège guère la difficulté, l’aphasie se produisant le plus souvent dans de tout autres conditions. Examinons-la donc d’après son type le plus commun.

Je crois inutile de donner ici des exemples que le lecteur peut trouver partout[3]. D’ordinaire, l’aphasie débute brusquement. Le

  1. Les gauchers aphasiques ont toujours l’hémiplégie à gauche.
  2. Voir des cas de ce genre dans Kussmaul, Die Störungen der Sprache, p. 99.
  3. La littérature de l’aphasie est si abondante que la seule énumération des titres d’ouvrages ou de mémoires remplirait plusieurs pages. Au point de vue psychologique, on devra surtout consulter : Trousseau, Clinique médicale, t. II ; Falret, article Aphasie dans le Dictionnaire encycl. des sciences médicales ; Proust, Archives générales de médecine, 1872 ; Kussmaul, Die Störungen der Sprache (très important). H. Jackson ; On the affections of the speech, dans Brain, années 1878, 1879, 1880.