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tructif que le fait suivant, rapporté par le même D. Rush : « Je tiens d’un pasteur luthérien d’origine allemande, vivant en Amérique et qui avait dans sa congrégation un nombre considérable d’Allemands et de Suédois, que presque tous, peu avant de mourir, prient dans leur langue maternelle. « J’en ai, disait-il, des exemples innombrables, quoique plusieurs d’entre eux, j’en suis sûr, n’aient pas parlé allemand ou suédois depuis cinquante ou soixante ans. » Winsleow note aussi que des catholiques convertis au protestantisme ont pendant le délire qui précédait leur mort, prié uniquement d’après le formulaire de l’Église romaine[1].

Ce retour de langues et de formules perdues ne me paraît, bien interprété, qu’un cas particulier de la loi de réversion. Par suite d’un travail morbide qui le plus souvent aboutit à la mort, les couches les plus récentes de la mémoire se sont détruites, et ce travail de destruction, descendant de proche en proche jusqu’aux acquisitions les plus anciennes, c’est-à-dire les plus solides, leur rend une activité temporaire, les ramène quelque temps à la conscience avant de les effacer pour toujours. L’hypermnésie ne serait donc que le résultat de conditions toutes négatives ; la réversion résulterait non d’un retour normal à la conscience, mais de la suppression d’états plus vifs et plus intenses : ce serait comme une voix faible qui ne peut se faire entendre que quand les gens au verbe haut ont disparu. Ces acquisitions, ces habitudes de l’enfance ou de la jeunesse reviennent au premier plan, non parce qu’une cause quelconque les pousse en avant, mais parce qu’il n’y a plus rien qui les recouvre. Les reviviscences de ce genre ne sont, au sens strict, qu’un retour en arrière, à des conditions d’existence qui semblaient à jamais disparues, mais que le travail à rebours de la dissolution a ramenées. Je m’abstiendrai d’ailleurs des réflexions que ces faits suggèrent si naturellement. J’en laisse le soin aux moralistes.

Indépendamment de cette confirmation inattendue de notre loi de réversion, ce qui ressort de l’étude des hypermnésies, c’est la surprenante persistance de ces conditions latentes du souvenir qu’on a appelées les résidus. Sans ces désordres de la mémoire, nous ne pourrions les soupçonner ; car la conscience réduite à elle seule ne peut affirmer que la conservation des états qui constituent la vie courante et de quelques autres que la volonté tient sous sa dépendance, parce que l’habitude les a fixés.

Faut-il conclure de ces reviviscences que rien, absolument rien ne se perd dans la mémoire ? que ce qui y est une fois entré reste in-

  1. Winslow, ouvrage cité, p. 253, 265, 266, 305.