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comme faisaient saint Thomas et Descartes. Il ne songe pas un moment aux discussions si profondes de Hume sur l’idée de cause ; il ne tient aucun compte de la Critique de la raison pure, et s’élève tranquillement par un chemin connu à des réalités transcendantes. On le voit, ceux qui ont abandonné le point de vue de l’ancien dogmatisme ne peuvent que passer sans s’arrêter devant ces convictions, fort respectables sans doute, mais sur lesquelles la critique s’est depuis longtemps prononcée.

À défaut d’une justification directe du point de départ de sa démonstration, M. Ollé-Laprune aurait pu prouver l’excellence de sa thèse en montrant dans les doctrines différentes un vice radical. Il ne l’a pas fait ; il prend ces théories par leurs petits côtés, discute les détails, et, s’il les réfute, c’est plutôt en montrant leurs conséquences, incompatibles avec ses propres opinions, qu’en ébranlant la solidité de leurs principes. S’agit-il de Kant par exemple : il va chercher dans la Critique du jugement un passage où le philosophe dit que la liberté est une chose directement connue, res scibilis. Il part de là pour le mettre en contradiction avec les autres textes bien plus nombreux où la liberté n’est pas considérée comme objet de science. Cependant il est en quelque sorte de notoriété publique que Kant a toujours relégué la liberté en dehors du monde des phénomènes ; non seulement elle n’est pas l’objet d’une intuition directe, mais on ne peut lui trouver aucune place dans la trame des phénomènes. Kant parle toujours, quand il s’agit du monde sensible, le langage du déterminisme le plus résolu. On peut lui reprocher cette opinion ; mais il l’a toujours professée, et M. Ollé-Laprune, qui se flatte de ne lui point adresser de vaines chicanes, profite contre lui d’un lapsus.

Si nous ne craignions de trop prolonger cette discussion, il nous resterait à nous placer au point de vue de M. Ollé-Laprune lui-même et à chercher sans sortir du dogmatisme intellectualiste, qui est sa doctrine, s’il donne de la certitude, et par suite de la croyance, une théorie irréprochable.

Il définit la certitude par des caractères exclusivement subjectifs et voit en elle l’assurance pleine, entière, sans réserve. Elle a pour condition « l’impossibilité de douter » qu’il faut entendre probablement comme l’impossibilité actuelle pour la personne qui affirme, et non l’impossibilité absolue, car l’absence ou l’exclusion du doute est considérée comme « le titre nécessaire et suffisant » (p. 249) de la certitude. Voilà une théorie singulière et qui n’aurait pas obtenu l’assentiment des grands penseurs du xviie siècle. Les autorités que M. Ollé-Laprune cite le plus volontiers sont des Anglais méconnus, deux Oratoriens, un Sulpicien ; il y aurait eu profit pour lui à étudier Spinoza, dont l’esprit merveilleusement rigoureux a formulé avec la dernière précision la théorie de la certitude au point de vue dogmatique. Spinoza dit expressément (Éthique, p. 49, part. II, schol.) que l’absence de doute est toute autre chose que la certitude. Et en effet, en laissant de côté la