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analyses. — ollé-laprune. De la certitude morale.

que c’est justice. Mais, pour l’athée, c’est autre chose : il ne peut, « pour absoudre un homme qui se trompe, accuser la vérité morale de se dérober… Sa conscience lui défend de douter de la souveraine justice. » (P. 374.) — « Vous ne croyez pas. Eh bien, laissez-moi vous faire respectueusement une question. Etes-vous sûr de n’avoir rien à vous reprocher ? Je ne vous accuse pas ; je ne vous juge pas. Jugez-vous vous-même. Sondez votre cœur. Examinez votre conscience. Avez-vous fait, avez-vous tâché de faire tout le bien que vous connaissiez ? Sérieusement, en conscience, êtes-vous content de vous ou mécontent ? Et, si vous êtes mécontent, est-ce un mécontentement poétique et comme une déception d’artiste trompé dans ses rêves et ses aspirations, ou un viril regret de n’avoir pas assez bien usé de la vie, un chagrin pratique de n’avoir pas fait tout ce que vous pouviez ? Voyez, et jugez. » (P. 387.)

Cette déclaration, reprise en Sorbonne, où M. Ollé-Laprune a soutenu sa thèse, a, dit-on, fait scandale, et provoqué une ferme réplique de M. Caro. Nous voudrions passer rapidement sur cet incident, si nous ne considérions comme un strict devoir, rendant compte de ce livre, de ne pas laisser dans l’ombre un point si important, pour qui veut en connaître les tendances et la portée. En outre, il est d’autant plus nécessaire de s’expliquer que des esprits superficiels ont pu considérer cette manière de voir comme une conséquence nécessaire de la doctrine qui attribue à la volonté un rôle prépondérant dans la formation des croyances. Il importe de disculper cette doctrine d’un soupçon qui l’outrage.

Quelle nécessité y a-t-il à ce que M. Ollé-Laprune porte un jugement sur la valeur morale des athées ? Ne peut-il se contenter de discuter leurs arguments, de les réduire à néant, s’il le peut, sans incriminer leurs intentions ? Quelle lumière ces insinuations injurieuses apportent-elles à la discussion ? Et de quel droit s’en vient-il scruter les consciences, et sonder les reins ? Qui l’a investi de ce pouvoir ? Y a-t-il au monde rien de moins philosophique que cette façon de finir une discussion par un procès de tendance ? Nul ne conteste à M. Ollé-Laprune le droit de diriger sa conscience comme il l’entend ; qu’il croie ce qu’il voudra, et que, le croyant, il essaye de faire partager sa foi aux autres ; qu’il discute, ratiocine, prêche, apostrophe ; qu’il soit, s’il veut, apôtre ou missionnaire ; mais, de grâce, s’il se donne pour philosophe, qu’il laisse de côté ces procédés de confesseur, qu’il renonce à s’immiscer dans le secret des cœurs et ne prétende pas à diriger des consciences qui se dirigent fort bien toutes seules. Oublie-t-il qu’il parle à des hommes libres, qui ne lui doivent point de comptes et dont les affaires de cœur ne regardent personne ? S’il a des raisons de douter de la bonne foi de tel ou tel athée en particulier, c’est son affaire. Mais proscrire toute une classe d’hommes (si toutefois cette classe existe), faire des catégories, dresser une liste de suspects, s’arroger le droit de dire à la pensée : Tu viendras jusqu’ici, mais tu n’iras pas plus loin, c’est