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analyses. — ollé-laprune. De la certitude morale.

tivité des concepts et de la science. Il s’apercevra que la chose en soi n’est que l’ombre de notre pensée, et qu’appuyer nos pensées sur les choses en soi, c’est ressembler à l’homme qui appellerait son ombre à son secours. Déjà, dans le passage important que nous avons cité, il incline en ce sens, montrant comment la volonté guide l’intelligence modifie son travail, est l’artisan de l’évidence qui l’illumine, en un mot fait la vérité. Ailleurs encore, il cite avec éloge, bien qu’il en condamne certaines applications, les belles pages de M. Renouvier sur le vertige mental. C’est dans cette direction, croyons-nous, qu’il trouvera la vraie solution du problème. La foi est une œuvre vraiment humaine, et le philosophe est bien, comme disait Socrate, l’ouvrier de sa science, αὐτοῦργος τῆς σοφίας. Il est digne d’un esprit tel que le sien de ne pas rester en chemin et de poursuivre jusqu’au bout les vérités qu’il n’a encore qu’incomplètement aperçues.

Victor Brochard.

Ferraz. Histoire de la philosophie en France au xixe siècle. Traditionnalisme et ultramontanisme. Paris, Didier. 1880.

M. Ferraz nous donne aujourd’hui un second volume d’études sur les philosophes de notre temps. Là se trouvent réunis de Maistre, de Bonald, Lamennais, puis Ballanche, Bûchez, Bautain, Gratry, Bordas ; ils ont tous été philosophes ou du moins, tous, ils ont voulu l’être ; tous, fidèles à la tradition chrétienne, ils ont prétendu penser selon l’Église et ne point penser à rencontre de la raison. Je ne sais, toutefois, comment ils se seraient entendus les uns avec les autres si le hasard les eût faits contemporains. Bordas-Demoulin entre autres, comment jugeait-il le comte de Maistre, et comment l’auteur du Pape eût-il accepté ce christianisme d’un nouveau genre, plus près des doctrines protestantes que des doctrines ultramontaines ? Il est vrai que, pour aller de Joseph de Maistre à l’auteur de la Réforme catholique, il faut se résigner à un long voyage et faire de nombreuses stations : or, quand on s’est arrêté quelque temps en face de Lamennais, par exemple, il n’est plus malaisé de comprendre comment l’on peut, par certains côtés, appartenir à l’école traditionaliste et en user librement avec cette tradition même quand on cesse de la prendre au pied de la lettre.

En fait, je ne vois guère dans cette galerie de traditionalistes que deux hommes auxquels ce nom convienne de tout point. Ce sont les deux premiers, le comte de Maistre, le vicomte de Bonald : De Maistre seul est ultramontain. De Bonald élève l’Église au-dessus du Pape ; en revanche, il accorde tout à l’Église. Il est plus que « clérical », il est théocrate ; il est plus que a réactionnaire », c’est un homme que la Providence oublia d’envoyer sur la terre aux temps des patriarches.