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analyses. — ferraz. Histoire de la philosophie.

de la raison comme l’était M. de Bonald. Lamennais ne veut point de la philosophie, qu’il juge sommairement et condamne sans réserves. Et pourtant Lamennais n’est pas « un traditionaliste pur ». Quand il fait l’apologie du catholicisme, il a soin de nous avertir, tout d’abord, que la religion est éternelle, que tout n’est pas erreur dans le paganisme, que les Grecs et les Romains ont été sans le savoir éclairés du rayon divin. Il y a donc une religion universelle dont le christianisme catholique est l’expression parfaite ? S’il en est ainsi, est-ce bien là le langage d’un orthodoxe ? De même, que dirait un orthodoxe, de cet ultramontanisme intransigeant qui est moins l’ultramontanisme de l’Église romaine que celui de l’abbé de Lamennais ? Vienne le jour où il faudra que lumière se fasse, et l’abbé reconnaîtra son erreur. La papauté lui apparaîtra indigne du grand rôle qu’il avait rêvé pour elle. Le second Lamennais ne tardera guère.

Le premier n’était pas un vrai traditionaliste, le second ne sera point un parfait libre penseur. L’Esquisse d’une philosophie, si bien analysée par M. Ferraz, est l’œuvre d’un théologien converti qui se souvient du séminaire. La doctrine affecte des allures panthéistes, ce qui n’implique nullement qu’elle n’est pas chrétienne. M. Ferraz qui connaît si bien la philosophie des pères de l’Église aurait peine à démontrer qu’il n’est rien de panthéiste dans leur métaphysique.

Maintenant, n’est-ce pas aller trop loin que d’attacher l’épithète de panthéiste à une doctrine ainsi présentée. « D’après Lamennais, nous dit-on, la création des êtres finis ne s’opère pas par voie d’émanation, mais par suite d’un acte libre ; elle ne retranche rien de l’être infini ; puisque les types des êtres finis continuent à résider dans son sein, elle n’y ajoute rien, car il n’en résulte aucune production d’être et de substance… Lamennais conclut de ces diverses considérations que la création est, suivant la conception antique, une sorte de sacrifice de l’Etre divin qui a bien voulu limiter sa propre substance pour constituer des êtres distincts de lui. » (Cf. p. 245 et 246.)

Ce langage n’est point spiritualiste, il n’est point rigoureusement panthéiste non plus ; il est incohérent, c’est tout ce qu’on peut en dire. Vous ne voulez point de l’émanation ? soit ; mais alors admettez qu’il y a eu production d’être, et d’ailleurs comment expliquer autrement cette limitation de la substance divine ? Rien n’est plus obscur : toutefois ce passage (résumé d’après le texte) ne semble-t-il pas attester un effort réel pour échapper au panthéisme ?

L’étude sur Lamennais est l’un des chapitres les plus étendus du livre et de ceux qui aident le mieux à comprendre ce qu’a voulu faire M. Ferraz et ce qu’il a fait. Il n’y avait plus à défendre contre d’injustes préventions un des hommes qui dans notre siècle ont porté à son plus haut point l’amour de leurs semblables et la passion de la vérité. MM. Pienan, Sainte-Beuve, Prévost-Paradol, Ernest Bersot s’étaient acquittés de ce soin, chacun à sa manière et chacun avec sa nuance pro-