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ciple de Descartes, mais ne relevant que du maître. En apparence, il reproduit la Vision en Dieu ; en fait, il la réforme. Il répudie cette âme qui voit en Dieu les raisons des choses, pour lui substituer un esprit humain « constitué par des idées générales dépendant immédiatement d’idées générales supérieures constitutives de Dieu ou de l’esprit incréé ». L’esprit conçoit ces idées, mais il ne perçoit rien à proprement parler, comme le voulait Malebranche. Elles sont, nous dit encore Bordas, dans l’entendement, ou plutôt elles sont l’entendement, elles sont nous-mêmes « en tant que nous possédons certaines propriétés que nous appliquons aux objets ». Le nombre, la quantité, ces deux manières d’être appartiennent à l’âme, car l’âme est substance, et la substance est la synthèse de l’étendue et de la force. De même il y a de l’infini dans l’âme, car tout ce qui est participe de l’infini. À la rigueur, le fini n’est nulle part : être fini, cela signifie seulement n’avoir point la plénitude de l’être. L’originalité incontestable de cette double théorie de la substance et de l’infini est mise en relief par M. Ferraz, dont on ne saurait trop apprécier le talent d’exposer facilement des choses difficiles. J’aurais toutefois désiré mieux qu’une exposition. M. Ferraz discute avec de Maistre, Bonald, Lamennais ; pourquoi négliger l’occasion de réfuter Bordas et de nous montrer à ce propos comment et par quelles erreurs de logique on se perd dans le labyrinthe de l’infini actuel ? Sans doute c’est un labyrinthe, mais c’est un labyrinthe dont l’imagination est l’architecte et dont il ne tiendrait qu’à la raison de trouver les issues.

L’étude se termine par l’exposition des théories morales et politiques de Bordas. Là, Bordas se montre tout à la fois partisan du catholicisme et de la révolution ; mais il en veut au « cléricalisme » et n’accepte pas l’infaillibilité. Son idéal est le christianisme des temps primitifs. C’était ici le cas de recourir à l’Éloge de Pascal où Bordas justifie le jansénisme et ne craint pas de déclarer qu’il n’y avait qu’un seul moyen de lutter contre la réforme : elle était nécessaire, mais il fallait la rendre inutile en ne laissant point à l’hérésie le soin de l’entreprendre. Donc point d’ultramontanisme, cela va sans dire ; ne serait-il pas exact d’ajouter : « point de traditionalisme, » si l’on entend ce mot comme l’entendaient de Maistre, de Bonald, le premier Lamennais, Gratry lui-même ? On le voit, le christianisme de Bordas n’est déjà presque plus orthodoxe. C’est un catholicisme qui veut s’accommoder à l’esprit moderne, qui tient en médiocre estime les pratiques extérieures et tente de rapprocher la religion de la philosophie. Pour un théologien je ne doute pas qu’entre le catholicisme ainsi entendu et le christianisme des protestants la différence n’existe ; mais, à regarder de plus haut, la distance est à peine sensible. Demander aux chrétiens d’adorer Dieu avec leur esprit plutôt qu’avec leur imagination, c’est, bon gré mal gré, substituer à l’amour de Dieu le respect de la personnalité divine, c’est vouloir une religion qui n’excède guère les limites de la raison. Ce profond philosophe me parait être à certains égards de ceux