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l. liard. — méthode et mathématique de descartes.

point d’arrêt, nous fera franchir les lacunes des intuitions et en renouera la chaîne.

Mais qu’est cette induction par énumération suffisante et méthodique ? Prise en elle-même, c’est une opération qui tire une conséquence d’une collection de choses séparées ou de propositions disjointes. Si je veux prouver, par exemple, que l’âme raisonnable n’est pas corporelle, je réunirai tous les corps sous quelques catégories distinctes, et, en les parcourant toutes, je verrai que l’âme raisonnable ne peut se rapporter à aucune d’elles. Si je veux prouver par le même procédé que la surface d’un cercle est plus grande que celle de toutes les autres figures d’un égal périmètre, j’énumérerai ces figures, et les considérant tour à tour, je verrai qu’elles ont une surface plus petite que celle du cercle de même périmètre[1]. Dans ces cas, l’inférence est tirée non plus, comme dans la déduction ordinaire, d’une seule proposition, mais de plusieurs propositions placées en quelque manière sur un même plan.

Veut-on voir à l’œuvre cette induction ? Il suffit de reprendre un exemple déjà cité, la recherche de l’anaclastique. Le terme de la réduction, l’origine de la composition est, on l’a vu, la notion de puissance naturelle ; le premier degré de la synthèse est la nature de l’action de la lumière. « Je suppose, dit Descartes, qu’on ne puisse tout d’abord découvrir cette action ; alors on énumérera toutes les autres puissances naturelles, afin que de la connaissance de quelques-unes d’entre elles on puisse au moins conclure par analogie la connaissance de celle qu’on ignore[2]. » L’obstacle qu’opposait au progrès de la pensée l’absence d’intuition est ainsi franchi, et la déduction proprement dite, un instant interrompue, reprend son cours.

Maison peut apporter d’autres exemples, et plus frappants encore, du rôle de ce procédé que Descartes prescrit dans les règles maîtresses de sa méthode. Descartes explique l’iris ou arc-en-ciel par des raisonnements complexes que nous n’avons pas à débiter ici, mais qui reposent sur une induction analogique. Il recherche d’abord quelles réfractions subissent les rayons du soleil lorsqu’ils tombent sur une boule de verre ; puis il remarque qu’aux proportions près, les apparences produites en cette boule par la réfraction de la lumière sont semblables à celles de l’arc-en-ciel, et il n’hésite pas à transporter aux gouttes de pluie ce qu’il a appris de la boule de verre[3]. L’expérience directe était impossible ; l’intuition faisait défaut. Là encore, la

  1. Cf. Regul., Reg. 7.
  2. Regul., Rég. 8.
  3. Météor., Disc. 8.