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f. paulhan. — la personnalité.

une maladie ou une lente et longue dégradation, comme celle qui accompagne la vieillesse, en a dispersé les débris, en a altéré la forme, le changement de la personnalité se laisse apercevoir avec évidence. Ce qui en faisait partie jadis s’en est séparé, de nouvelles parties s’y sont adjointes, la ruine est survenue, et le nouveau moi ne conserve plus que quelques-uns de ses rapports avec les phénomènes physiques, comme le monument conserve quelques-uns de ses rapports avec le milieu ambiant : il est toujours à la même place dans la même ville, au milieu du même pays. Ce qui donne encore un reste d’identité au moi, ce sont les rapports qui l’unissent à un milieu quelconque, ce sont ses rapports de succession avec les phénomènes antécédents.

Rien n’est plus propre à montrer ces changements d’identité du moi que l’amnésie périodique, comme celle de Félida X… par exemple, celle du sergent blessé à Bazeilles. Dans tous ces cas, on voit la personnalité changée en tant que changent les rapports du moi, ou plutôt les rapports du phénomène actuel avec les phénomènes psychiques précédents.

De même, quand il se produit des phénomènes psychiques qui ne s’accordent pas avec des phénomènes psychiques antérieurs, qui n’ont pas assez de rapport avec eux, ils ne sont pas rangés avec eux, ils sont attribués à d’autres personnes ; le patient entend des voix qui lui parlent, il se persuade qu’il reçoit des inspirations divines ou des suggestions du diable.

Au contraire, quand un fait de conscience a été souvent présenté, quand il s’accorde avec nos idées, il finit par s’implanter au point qu’il contribue beaucoup trop à former la notion de personnalité. M. Maury rapporte l’histoire d’un vieillard qui croyait avoir fait plusieurs voyages qu’il avait seulement lus. Plusieurs individus se sont pris pour des dieux. La personnalité et l’identité ne consistent qu’en de certains rapports ; ces rapports, s’implantant ou s’effaçant de l’esprit, altèrent la notion d’identité[1]. Les phénomènes de la névropathie cérébro-cardiaque, qui ont déjà été indiqués ici, en sont encore une preuve bien frappante.

Si je n’insiste pas davantage sur la vérification expérimentale de l’analyse psychologique, c’est que les faits que je pourrais donner ont été cités déjà et sont en grande partie familiers aux lecteurs de la Revue philosophique.

  1. Voir Taine, De l’Intelligence, vol. II, I. III. — Maury, Le sommeil et les rêves, — Esquirol, Des maladies mentales. — Luys, Le cerveau.